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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/483

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nières de la combattre pour la mieux vaincre. On peut la laisser s’user elle-même, et la résignation et le silence peuvent avoir leur emploi légitime. Il y a une part de vérité, d’utilité même dans les Lettres spirituelles, et jusque dans les Maximes des Saints ; mais, en général, il est mal sûr d’anticiper en ce monde sur les droits de la mort, et de rêver la sainteté, quand la vertu seule nous est imposée, et quand la vertu est déjà si rude à accomplir, même très imparfaitement. Le quiétisme le meilleur ne peut être tout au plus qu’une halte dans la carrière, une trève dans la lutte, ou plutôt une autre manière de combattre encore. Ce n’est pas en fuyant qu’on gagne des batailles ; pour les gagner, il les faut livrer, d’autant mieux que le devoir est de combattre encore plus que de vaincre. Entre le stoïcisme et le quiétisme, ces deux extrêmes opposés, le premier, à tout prendre, est préférable au second ; car s’il n’élève pas toujours l’homme jusqu’à Dieu, il maintient du moins la personnalité humaine, la liberté, la conscience, tandis que le quiétisme, en abolissant tout cela, abolit l’homme tout entier. L’oubli de la vie et de ses devoirs, l’inertie, la paresse, la mort de l’ame, tels sont les fruits de cet amour de Dieu, qui se perd dans l’oisive contemplation de son objet. Et encore, pourvu qu’il n’entraîne pas des égaremens plus funestes ! Il vient un moment où l’ame, qui se croit unie à Dieu, enorgueillie de cette possession imaginaire, méprise à ce point et le corps et la personne humaine que toutes ses actions lui deviennent indifférentes, et que le bien et le mal sont égaux à ses yeux. C’est ainsi que des sectes fanatiques ont été vues mêlant le crime et la dévotion, trouvant dans l’une l’excuse, souvent même le mobile de l’autre, et préludant par de mystiques ravissemens à des dérèglemens infames, à des cruautés abominables. Déplorable conséquence de la chimère du pur amour, de la prétention du sentiment de dominer sur la raison, de servir seul de guide à l’ame humaine, et de se mettre en communication directe avec Dieu sans l’intermédiaire du monde visible, de l’intelligence et de la vérité !

Mais il est temps de passer à un autre genre de mysticisme, plus singulier, plus savant, plus raffiné, et tout aussi déraisonnable, bien qu’il se présente au nom même de la raison.

La raison, à moins de détruire en elle un des principes qui la gouvernent, ne peut s’en tenir à la vérité, pas même aux vérités absolues de l’ordre intellectuel et de l’ordre moral : elle ne peut pas ne pas rattacher toutes les vérités universelles, nécessaires, absolues, à l’être qui seul les peut expliquer, parce que seul il possède en soi l’existence