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nécessaire et absolue, l’immutabilité et l’infinitude. Dieu est la substance des vérités incréées, comme il est la cause des existences créées. Les vérités nécessaires trouvent en Dieu leur sujet naturel. Nous les apercevons, nous ne les constituons pas. Dieu les aperçoit, et s’il ne les a point faites arbitrairement, ce qui répugne à leur essence et à la sienne, il les constitue en tant qu’elles sont lui-même. Son intelligence les possède comme les manifestations d’elle-même. Tant que la nôtre ne les a point rapportées à l’intelligence divine, elles lui sont un effet sans sa cause, un phénomène sans sa substance. Elle les rapporte donc à leur cause et à leur substance, et en cela, elle obéit à un besoin impérieux et à un principe assuré de la raison[1].

Le mysticisme brise en quelque sorte l’échelle qui nous élève jusqu’à la substance infinie ; il considère cette substance toute seule et indépendamment des vérités diverses qui nous la manifestent, et il s’imagine posséder ainsi l’absolu pur, l’unité pure, l’être en soi. L’avantage que cherche ici le mysticisme, c’est de donner à la pensée un objet où il n’y ait nul mélange, nulle division, nulle multiplicité, où tout élément sensible et humain ait entièrement disparu. Pour obtenir cet avantage, il en faut payer le prix. Il est un moyen très simple de délivrer la théodicée de toute ombre d’anthropomorphisme, c’est de réduire Dieu à une abstraction, à l’abstraction de l’être en soi. L’être en soi, il est vrai, est pur de toute division, mais à cette condition qu’il n’ait nul attribut, nulle qualité, et même qu’il soit dépourvu de science et d’intelligence ; car l’intelligence, si élevée qu’elle puisse être, suppose toujours la distinction du sujet intelligent et de l’objet intelligible. Un dieu dont l’absolue unité exclut l’intelligence, voilà le dieu de la philosophie mystique. C’est l’école d’Alexandrie qui a produit sur la scène de l’histoire cette philosophie extraordinaire.

Comment l’école d’Alexandrie, comment Plotin, son fondateur, au

  1. Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même. « Si je cherche où et en quel sujet ces vérités subsistent éternelles et immuables comme elles sont, je suis obligé d’avouer un être où la vérité est éternellement subsistante et où elle est toujours entendue. » — Leibnitz, Nouveaux essais sur l’Entendement humain, liv. IV, ch. ii. « Cela nous mène enfin au dernier fondement des vérités, savoir, à cet esprit suprême et universel qui ne peut manquer d’exister, dont l’entendement, à dire vrai, est la région des vérités éternelles, comme saint Augustin l’a reconnu et l’exprime d’une manière assez vive… Il faut bien que ces vérités nécessaires soient fondées dans l’existence d’une substance nécessaire. C’est là où je trouve l’original des vérités qui sont gravées dans nos ames. »