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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/489

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qu’à un certain point indéterminée, puisqu’étant finie elle a toujours en elle des puissances qui ne sont pas réalisées. Cette indétermination diminue à mesure que ces puissances se réalisent, c’est-à-dire à mesure que le fini s’approche de l’infini, et elle augmente au contraire à mesure qu’il s’en éloigne. Ainsi la vraie unité divine n’est pas l’unité abstraite ; c’est l’unité précise de l’être parfait, en qui tout est achevé. Au faîte de l’existence encore plus qu’à son plus humble degré, tout est déterminé, tout est développé, tout est distinct, comme tout est un. La richesse des déterminations est le signe même de la plénitude de l’être. La réflexion distingue ces déterminations entre elles, mais il ne faut pas voir dans ces distinctions des limites. Dans nous, par exemple, est-ce que la diversité de nos facultés et leur plus riche développement divisent le moi et altèrent l’identité et l’unité de la personne ? Chacun de nous se croit-il moins lui-même parce qu’il possède et la mémoire et la raison et la volonté, etc. ? Non, assurément. Il en est de même de Dieu. Faute d’avoir passé par une psychologie suffisante[1], le mysticisme alexandrin s’est imaginé que la diversité des attributs est incompatible avec la simplicité de l’essence, et de peur de corrompre la simple et pure essence, il en a fait une abstraction. Par un scrupule insensé, il a craint que Dieu ne fût pas assez parfait s’il lui laissait toutes ses perfections. Il les considère comme des imperfections, l’être comme une dégradation, la création comme une chute ; et pour expliquer l’homme et l’univers, il est forcé de mettre en Dieu ce qu’il appelle des défaillances, pour n’avoir pas vu que ces prétendues défaillances sont les signes mêmes de la perfection infinie.

La théorie de l’extase est à la fois la condition nécessaire et la condamnation de la théorie de l’unité absolue. Sans l’unité absolue comme objet direct de la connaissance, à quoi bon l’extase dans le sujet de la connaissance ? L’extase, loin d’élever l’homme jusqu’à Dieu, l’abaisse au-dessous de l’homme, car elle efface en lui la pensée en ôtant sa condition, qui est la conscience. Supprimer la conscience, c’est rendre impossible toute connaissance, et c’est ne pas comprendre la perfection de ce mode de connaître où l’intimité du sujet et de l’objet donne à la fois la connaissance la plus simple, la plus immédiate et la plus déterminée.

  1. Dans un article sur Vanini, inséré dans cette Revue, 15 décembre 1843, nous avons fait voir sur plusieurs points importans quelles lumières la théodicée peut tirer de la psychologie.