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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/497

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faveur de sa signature, que nous vénérions comme chose sacrée ; mais l’encre n’était pas encore sèche qu’on avait violé nos capitulations. Dans le temps des communes (comunidades), pour qui se leva notre province ? Pour sa majesté. Nous suivîmes les troupes royales contre les comuneros, et le propre frère du roi Boabdil, don Juan de Grenade, fut général en Castille au service du roi…

« Quant à nos noces, à nos fêtes, à nos danses et aux plaisirs que non prenons, en quoi nous empêchent-ils d’être chrétiens, et comment peut-on les appeler cérémonies moresques ? Les bons musulmans n’y assistaient jamais, les f’kis s’éloignaient dès qu’on commençait à chanter ou à danser et même, lorsqu’un roi maure traversait quelque quartier de la ville, on faisait par respect taire les instrumens jusqu’à ce qu’il se fût éloigné. Ces danses sont inconnues en Afrique et en Turquie… Le saint archevêque aimait à voir nos danseurs accompagner le saint-sacrement à la Fête-Dieu et aux autres solennités, et tous les villages y accouraient, se disputant entre eux à qui exécuterait les plus belles danses. Lorsque, dans ses visites l’Alpuxarra, il célébrait la grand’messe, nos chanteurs remplaçaient l’orgue ; je me rappelle qu’en achevant la messe, l’archevêque se tournait vers le peuple : au lieu du Dominus vobiscum, il disait en arabe Ybaraficun, et nos chanteurs répondaient aussitôt. — On ne peut pas plus dire que l’habitude qu’ont nos femmes de se teindre les cheveux avec de la poudre de troène ou de la noix de galle soit une cérémonie moresque. Ce n’est qu’un moyen de se nettoyer la peau et de se tenir la tête propre.

« Voyons maintenant, seigneur, à quoi peut servir que nous tenions ouvertes les portes de nos maisons ? N’est-ce pas donner aux voleurs la liberté de nous dépouiller, aux libertins celle de convoiter nos femmes ? N’est-ce pas donner occasion aux alguazils et aux hommes de loi de ruiner les pauvres gens par des poursuites ? Si quelqu’un veut être More et suivre les rites de Mahomet, ne pourra-t-il le faire de nuit ? Beaucoup mieux au contraire car cette religion exige la solitude et le recueillement…

« Peut-on dire que les bains soient une cérémonie religieuse ? Non, certes. Ceux qui tiennent les maisons de bains sont chrétiens pour la plupart. Ces maisons sont des lieux de société et des réceptacles d’immondices ; elles ne peuvent donc servir aux rites musulmans, qui exigent la solitude et la propreté… Dira-t-on que les hommes et les femmes s’y réunissent ?… Il est notoire, au contraire, que les hommes n’entrent point où sont les femmes. Les bains ont été imaginés pour la propreté du corps : il y en a toujours eu dans tous les pays du monde, et s’ils furent défendus quelque temps en Castille, c’est parce qu’ils affaiblissaient les forces et le courage des hommes de guerre ; mais les habitans de cette province ne sont pas destinés à faire la guerre, et les femmes n’ont pas besoin d’être fortes, mais propres. Si elles ne peuvent se baigner, ni dans les rivières, ni dans les ruisseaux, ni dans les fontaines, ni dans leurs maisons, où pourront-elles se laver à présent ?… Vouloir que nos femmes sortent la figure découverte, c’est vouloir donner aux hommes l’occasion de pécher, en leur montrant la beauté dont ils s’enflamment