Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/499

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’abandonne pas ceux qui sont sans pouvoir ; qu’elle désabuse sa majesté, qu’elle nous délivre de si grandes calamités, qu’elle agisse en chevalier chrétien pour le service de Dieu, du roi, et pour le bien de cette province, qui en conservera une éternelle reconnaissance. »

Cette longue harangue n’eut et ne pouvait avoir aucun succès ; les ambassadeurs envoyés à la cour par les Morisques ne furent pas plus heureux : l’inquisition et Philippe II, son docile instrument, ne se laissaient pas détourner de leur but par des considérations de cette nature ; la pragmatique fut exécutée sans ménagement, sans pitié. Le fanatisme religieux était porté alors dans toutes les classes à un tel point d’exaltation, que, cette même année, plusieurs centaines de prisonniers morisques furent massacrés à Grenade, dans les prisons de la Chancellerie, par des prisonniers vieux chrétiens auxquels les autorités elles-mêmes avaient mis les armes à la main. Comme si ce n’était pas assez des maux réels qui accablaient les Morisques, la superstition exhuma dans cette circonstance et répandit dans le peuple les prophéties les plus sinistres. Les jours étaient venus où la loi de Mahomet devait périr en Andalousie et dans l’Espagne entière ; Ceuta même et Tanger seraient conquis par les chrétiens. L’antéchrist, il est vrai, viendrait prêter main-forte au prophète, et sa figure frapperait le monde d’épouvante. Il devait faire le tour du globe en sept jours ; mais Dieu enverrait contre lui Jésus, fils de Marie : le monstre, à sa vue, deviendrait lâche comme une femme, et il s’abîmerait dans les enfers. Puis le Christ, montant au Thabor, remporterait une nouvelle victoire sur Mahomet et le peuple des Pygmées. On représentait ces Pygmées aussi nombreux que les sables de la mer, tantôt comme plus petits que des plumes à écrire, tantôt comme plus grands que des sierras ; d’autres avaient les oreilles si longues, qu’ils pouvaient s’asseoir dessus et en couvrir la terre. Dans ces fantaisies bizarres, dont les prêtres ou f’kis nourrissaient l’esprit du peuple, il y avait certes de quoi troubler son imagination et le réduire au désespoir.

Sur ces entrefaites, un descendant des Abencerages, nommé Aben Farax, essaya de soulever les Morisques de Grenade : il courut toute une nuit l’Albaycin, à la tête d’une troupe de monfis, bandits mores qui vivaient de meurtre et de rapine ; mais l’Albaycin cette fois ne remua pas : il avait souvenance de l’artillerie de Tendilla. Déçu dans son espoir, Aben Farax se jeta avec ses bandits dans l’Alpuxarra. Un capitaine espagnol nommé Diego Herrera, qui devait passer la nuit à Cadiar, fut logé avec sa compagnie chez les habitans ; d’accord avec eux, les monfis s’introduisirent à la faveur des ténèbres chez ces perfides hôtes et massacrèrent tous les soldats pendant leur sommeil. Il n’en échappa que deux. Cette boucherie fut le signal de la rébellion. L’Alpuxarra se souleva en nasse, ainsi que le Val-de-Lecrin et les tahas environnantes. Des cruautés effroyables furent commises par les insurgés sur les chrétiens restés fidèles, particulièrement sur les prêtres, qui tous, dit le pieux chroniqueur, reçurent les palmes du martyre.

Il y avait alors à Grenade un descendant des Ommiades, anciens califes