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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/500

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de Cordoue ; c’était un personnage considérable par son luxe autant que par sa naissance. Quoique son père fût aux galères pour un crime réel ou prétendu, il remplissait, lui, les fonctions de consul ou échevin dans la municipalité de Grenade. Ayant un jour tiré l’épée en plein conseil, et été mis aux arrêts pour ce fait dans sa propre maison, il avait vendu sa charge, moins par rancune que pour avoir de l’argent, car il avait fini par déranger ses affaires et en était réduit alors aux expédiens. Son intention était, disait-il, d’aller chercher fortune en Flandre ou en Italie ; mais il n’en fit rien, rompit ses arrêts et partit un beau matin de Grenade pour l’Alpuxarra, accompagné d’un esclave noir et d’une Moresque qu’il aimait passionnément. C’était le jour de Noël 1568. Il alla droit à Beznar, où il avait beaucoup de parens. L’insurrection avait besoin d’un chef : il fut désigné pour l’être, et, au mépris des droits d’Aben Farax, le véritable auteur de la rébellion, il fut élu roi sous le nom de Muley Mahomet Aben Humeya. Son nom chrétien était Ferdinand de Valor. Devenu musulman, il épousa trois femmes et prit au sérieux sa royauté improvisée. Il n’avait que vingt-deux ou vingt trois ans. On devait à Aben Farax une compensation : il fut nommé alguazil-mayor du nouveau roi, c’est-à-dire sergent d’honneur ou premier chambellan. Il paraît que l’Abencerage n’accepta pas de très bonne grace son changement de fortune, car le premier soin d’Aben Humeya fut d’éloigner de sa personne le compétiteur désappointé.

Ici commence une longue et monotone série de sacrilèges et d’atrocités sans exemple, même en Espagne. Les monfis couraient de bourg en bourg, de village en village, pour soulever leurs coreligionnaires ; leur premier soin était de piller et de profaner les choses saintes ; ils coupaient par morceaux les crucifix, ils saignaient des porcs sur l’autel, ils convertissaient les églises en écuries. D’ordinaire, les chrétiens se retranchaient avec leurs femmes et leurs enfans dans quelque tour ou quelque clocher ; les Mores y mettaient le feu, et les malheureux qui échappaient aux flammes étaient massacrés ; on jetait leurs corps à la voirie, et si quelque personne charitable sollicitait, au péril de sa vie, la grace de les enterrer : « A quoi bon ? répondaient les bourreaux ; ils sont tellement chiens, que les chiens eux-mêmes, bien loin de toucher à leurs cadavres, s’en éloignent avec dégoût. Les prêtres étaient réservés comme des victimes d’élite, et périssaient lentement dans d’épouvantables tortures. Après le massacre des hommes, les femmes et les enfans étaient réduits en esclavage et vendus à l’enchère.

Il serait horrible et fastidieux d’énumérer les abominations commises par ces bandits. On sait ce que peut l’homme quand il met son intelligence au service de ses instincts de destruction. Nous avons dit qu’en général on épargnait les femmes. Ce n’était point par humanité, mais par cupidité, car on les vendait dix, vingt, jusqu’à cinquante ducats par tête. Toutes cependant n’avaient pas la vie sauve ; plusieurs furent livrées aux femmes mores, qui se complaisaient à les déchirer de leurs propres mains, sans compter celles que les monfis égorgeaient après les avoir déshonorées. On cite entre autres