Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/502

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles n’appartenaient à personne, et n’avaient par conséquent aucune valeur commerciale. On tuait donc, on tua toute la nuit sans trêve et sans pitié. Le matin, il ne restait pas une Moresque vivante ; le sang ne cessa de couler que lorsqu’il n’y en eut plus à répandre.

Cette abominable guerre dura trois ans et plus. Le marquis de Mondejar fut le premier à marcher contre la révolte. Après diverses vicissitudes, il pénétra dans l’Alpuxarra, tandis que le marquis de Velez, gouverneur de Murcie, prenait les insurgés par le revers opposé ; mais les deux généraux se nuisaient au lieu de se servir mutuellement, et leur rivalité compromettait le succès. Indépendans l’un de l’autre, ils faisaient la guerre chacun pour son compte, et avec un système différent. Mondejar penchait pour la douceur, Velez pour la rigueur, si bien que l’un défaisait ce que l’autre avait fait. A la cour même, il y avait deux partis, et tous les deux se desservaient, se calomniaient avec un égal acharnement. La révolte d’ailleurs se développait avec une rapidité effrayante ; Aben Humeya ne manquait pas d’activité ; il avait l’intelligence de la guerre de partisans, la véritable guerre de l’Espagne, la seule possible dans ces âpres contrées. On le trouvait partout à la fois. Le croyait-on sur un point, il paraissait sur un autre, et multipliait les ruses, les embuscades, les diversions. Du reste, il était secondé vaillamment ; tous les hommes, quelle que fût leur condition, étaient transformés en soldats, et en bons soldats ; les femmes elles-mêmes se battaient à côté de leurs frères et de leurs maris. Informés du soulèvement de l’Alpuxarra par les émissaires d’Aben Humeya, qui avait envoyé son propre frère jusqu’à Constantinople, les Turcs et les Mores d’Afrique étaient venus au secours de leurs coreligionnaires d’Espagne, les uns d’Alger, les autres du Maroc. Quoique peu considérables, ces renforts étrangers donnaient à la révolte de l’autorité, de la confiance, et pouvaient passer pour les avant-coureurs d’une descente générale des infidèles. Cette invasion redoutable était l’idée fixe et la terreur de Philippe II.

Cependant la guerre traînait en longueur ; l’argent, les vivres, tout manquait aux chrétiens ; démoralisées par les privations, les troupes ravageaient le pays pour leur propre compte, et pillaient les amis comme les ennemis. Avec la misère vint la désertion, surtout dans la division du marquis de Velez, homme dur, hautain, haï du soldat. Campé alors à la Calahorra, forteresse importante du marquisat de Zenete, sur les frontières septentrionales de l’Alpuxarra, il avait réuni sur ce point jusqu’à douze mille hommes ; bientôt il n’en compta plus que trois mille, et son propre fils, don Diego Faxardo, ayant payé de sa personne pour retenir les troupes sous le drapeau, fut tué d’un coup d’arquebuse par ces factieux. Les Morisques profitèrent habilement de ces discordes impolitiques, et ceux que les bons procédés du marquis de Mondejar avaient gagnés se soulevèrent de nouveau. La rébellion s’étendit bientôt jusqu’au Rio d’Almanzora (fleuve de la Victoire), sur la frontière murcienne. Aben Humeya se jeta en personne sur les places fortes de ce territoire ; il en prit quelques-unes, et fit assiéger les