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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/503

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autres par ses lieutenans. La révolte avait gagné depuis long-temps les montagnes de Ronda et la sierra de Bentomiz.

Assailli par les rapports les plus contradictoires (car les rivalités des généraux se traduisaient en démentis, contre-démentis, et dénaturaient tous les faits), Philippe II, qui alors avait bien d’autres affaires sur les bras, se décida à envoyer à Grenade son frère naturel, don Juan d’Autriche. Ce prince n’avait alors que vingt-trois ans. Toujours soupçonneux, Philippe le plaça sous la tutelle d’un conseil de guerre qui devait surveiller, diriger les démarches et contrôler les opérations. Lui-même vint à Cordoue, puis à Séville, pour être plus rapproché du théâtre des hostilités. Il recommanda en même temps que la guerre se fit sans merci, à feu et à sang, a fuego y a sangre, ce sont les termes du décret ; bien plus, il ordonna que tous les Morisques de Grenade fussent déportés avec leurs familles dans l’intérieur du royaume, et cet ordre barbare fut exécuté sans rémission. Convoqués dans les églises, sous un prétexte fallacieux, les malheureux proscrits furent saisis, garrottés, et conduit ainsi sous bonne escorte à leurs destinations respectives ; la plupart périrent de faim, de soif, de fatigue, sans compter les violences et les brutalités de leurs gardiens, qui en vendirent un grand nombre comme esclaves après les avoir complètement dépouillés. « Ce fut un lamentable spectacle, dit le chroniqueur du temps, dévoué cependant à l’inquisition, que de voir tant d’hommes de tout âge, la tête basse, les mains liées en croix, le visage baigné de larmes, abandonner leurs maisons somptueuses, leurs familles, leur patrie, leurs habitudes, leurs terres, tous leurs biens enfin, sans savoir ce qu’on ferait de leurs têtes. » Ces rigueurs excessives avaient un prétexte : on craignait ou l’on feignait de craindre que les insurgés des montagnes n’ourdissent quelque complot avec leurs coreligionnaires de l’Albaycin pour s’emparer de Grenade. Les Morisques de la campagne ou vega ne tardèrent pas à éprouver le même sort que ceux de la ville.

Une si cruelle expédition n’était pas faite pour calmer les esprits ; tous les proscrits de l’Albaycin qui purent échapper se jetèrent dans l’Alpuxarra, et grossirent les rangs de l’insurrection. Un grand nombre de bourgs et de villages qui jusqu’alors n’avaient pas bougé se soulevèrent, et Aben Humeya reçut dans le même temps de nouveaux renforts d’Alger et de Tétuan. Quittant alors la défensive, il attaqua à Berga, à la tête de dix mille hommes, le camp du marquis de Velez, et peu s’en fallut qu’il ne le prît d’assaut ; le combat fut long, acharné, le carnage effroyable, et la victoire, due en grande partie à la trahison de quelques espions mores, coûta cher aux Espagnols. On trouva parmi les morts plusieurs centaines de Berbères qui étaient venus au combat la tête couronnée de fleurs, avant juré de vaincre ou de mourir muxehedines, c’est-à-dire en martyrs de Mahomet : leur dernier vœu rempli, ils périrent tous jusqu’au dernier.

Cependant la discorde s’était mise aussi dans le camp des Mores. Aben Humeya s’était fait des ennemis ; on lui reprochait sa cruauté, son avarice, son orgueil ; on l’accusait même de correspondre avec les chrétiens dans son