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intérêt particulier, notamment pour négocier la délivrance de son père, qui était toujours aux galères. Une conspiration se trama contre lui, elle réussit, et le roi de l’Alpuxarra, surpris dans son lit, fut étranglé par deux de ses officiers, ni plus ni moins qu’un czar de toutes les Russies. Il avait vingt-trois ans, juste l’âge de don Juan d’Autriche. Il fut question d’élire à sa place un capitaine turc nommé Hussein ou son frère Caracax, qui tous deux avaient trempé dans le complot ; mais ils répondirent l’un et l’autre que le dey d’Alger Aluch-Ali les avait envoyés pour être alliés des Andaloux, non leurs rois. Sur leur refus, la couronne échut à un parent d’Aben Humeya, Diego Lopez Aben Aboo, qui avait le titre d’alcade des alcades, et commandait les Africains auxiliaires ; il prit le titre de Muley Abdalah Aben Aboo, roi d’Andalousie, et fit écrire sur sa bannière cette devise superbe : « Je ne puis désirer plus ni me contenter de moins. » Toutefois, il envoya demander son investiture au roi d’Alger, qui représentait le Grand-Turc.

On aurait dû s’attendre à ce que le dernier Abencerage, Aben Farax, succédât au dernier Ommiade, Aben Humeya ; il n’en fut rien, et la fin d’Aben Farax fut plus misérable encore que celle de son heureux rival. Ses insolences et ses cruautés l’avaient rendu également odieux aux deux partis. Abandonné, abhorré de tout le monde, il se tint caché quelque temps dans un village des avirons de Grenade ; mais ce village étant tombé au pouvoir des chrétiens, fut obligé de fuir dans la montagne, et prit alors une résolution singulière : « Frère, dit-il à un mauvais chrétien, teinturier de son état, qui l’accompagnait dans sa fuite, nous sommes détestés de tout le monde. Aben Humeya nous tient le couteau sur la gorge, et, si les chrétiens nous prennent, nous n’échapperons pas à la corde. Un sel moyen nous reste : allons nous livrer à l’inquisition ; nous en serons quittes avec elle pour une pénitence, mais du moins nous aurons la vie sauve. Moi, je suis trop connu à Grenade pour m’y présenter sans danger ; prends les devans, et prie le saint-office de m’envoyer un ou deux familiers pour m’escorter. » Ce projet sourit au chrétien, et il fut décidé qu’il partirait seul, à la nuit tombante, de la caverne où ils étaient cachés ; mais Aben Farax, malheureusement pour lui, se laissa surprendre par le sommeil avant le départ de son compagnon. Ce misérable, le voyant à sa merci, eut la pensée diabolique de le tuer, pour se faire un mérite de sa mort auprès de l’inquisition. Il saisit une pierre, et lui en donna tant de coups sur la tête, qu’il lui brisa les dents, les mâchoires, lui enfonça le nez, la bouche et les yeux. Le laissant pour mort, il se rendit à Grenade, où il se mit entre les mains du saint-office. Aben Farax demeura sans connaissance, pendant deux nuits et un jour, dans la caverne ensanglantée ; le hasard avant conduit là quelques Mores, ils l’aperçurent avec sa figure mutilée horriblement et ses blessures déjà pleines d’insectes. S’étant assurés qu’il respirait encore, ils le transportèrent charitablement dans leur village sans l’avoir reconnu, et le soignèrent si bien, qu’il guérit ; mais quelle guérison ! L’Abencerage resta défiguré au point que son visage, monstrueux à voir, n’avait plus forme humaine, et qu’on était obligé de lui insinuer les alimens avec un roseau, par un petit trou rond qui