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lui servait de bouche. Pourchassé dans cet état par les armes victorieuses des chrétiens, il erra quelque temps dans l’Alpuxarra, en demandant l’aumône sur les grands chemins. Ainsi finit le dernier Abencerage, beaucoup moins chevaleresque, on le voit, que celui de M. de Châteaubriand. Quand l’histoire fait des drames, elle les fait poignans, terribles, et laisse bien loin derrière elle, dans sa brutale énergie, les fictions des poètes.

Le nouveau roi Aben Aboo obtint d’abord quelques succès ; il reprit l’offensive et poussa la guerre avec vigueur dans le Val-de-Lecrin, en même temps que par ses ordres El Maleh soulevait la ville de Galère et les autres places situées sur les frontières du royaume de Murcie. Il était à craindre que ce royaume ne suivît l’exemple de l’Alpuxarra et que l’incendie ne gagnât par là le royaume de Valence, où les Morisques étaient en grand nombre. Ceux de Bentomiz et de Ronda continuaient impunément leurs ravages, et Aben Aboo sollicitait du roi d’Alger des renforts qu’il attendait d’un jour à l’autre, mais qui n’arrivèrent jamais.

Pendant ce temps, don Juan d’Autriche était toujours à Grenade, se plaignant avec amertume de l’inaction que lui imposait son frère Philippe II. Enfin, à force d’instances, il obtint la permission d’entrer lui-même en campagne, et partit de Grenade le 29 décembre 1569, avec toutes les forces qu’il put rassembler, forces insuffisantes, qu’il fallut augmenter plusieurs fois. Il avait avec lui, entre autres personnages éminens, le grand-commandeur de Castille et son mentor, son ami, don Louis Quixada, qui s’était distingué sous le règne précédent comme homme de guerre et comme honnête homme. Fils du mystère et de l’amour, don Juan d’Autriche avait ignoré long temps qu’il avait pour père l’empereur. Seul dépositaire du secret de sa naissance, Quixada l’avait élevé, dès le berceau, comme son propre fils, et l’appelait même son neveu ; l’enfant mystérieux l’appelait son oncle. Ils s’aimaient tendrement et ne s’étaient jamais quittés ; mais cette campagne leur fut fatale. Après avoir affronté tant de fois la mort dans les batailles et les sièges les plus mémorables, le vieux compagnon de Charles-Quint fut tué d’un coup d’escopette dans une obscure rencontre de cette guerre sans gloire.

Don Juan reprit une à une, après des pertes considérables et des efforts inouis, toutes les places de la frontière murcienne, Galère, Séron, Tijola, Purchena, et, remontant le fleuve d’Almérie, il vint se camper à Padulès d’Andarax, sur le territoire de l’Alpuxarra. Tandis qu’il opérait à l’est, le duel de Sésa bataillait à l’ouest avec des alternatives à peu près égales de succès et de revers ; enfin les deux divisions se réunirent au foyer même de l’insurrection, qui de ce moment ne fit plus que languir. Les négociations avaient recommencé pour la reddition du pays et se poursuivaient activement. Don Juan avait promis le pardon du roi (le pardon de Philippe II !) à tous ceux qui viendraient à résipiscence ; Aben Aboo lui-même semblait prêt à déposer les armes, et Fernand Habaki, l’un de ses premiers lieutenans, vint de sa part à Padulès faire acte de soumission aux pieds du fils de Charles-Quint ; mais Aben Aboo se ravisa tout d’un coup. Non content de désavouer Habaki, il le