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tua, afin d’ensevelir son secret dans le silence du tombeau, et reprit les hostilités avec acharnement. Cependant le découragement s’était emparé des insurgés, et beaucoup reconnurent spontanément la loi du vainqueur ; les autres se réfugièrent dans les bois, dans les cavernes de la Sierra-Nevada, où l’ennemi les traquait comme des bêtes fauves ; sans places, sans vivres, sans munitions, ils s’affaiblissaient tous les jours, les vides faits dans leurs rangs ne se comblaient pas. Ce n’était plus une guerre, c’était une chasse.

Don Juan retourna à Grenade, puis à Madrid, pour aller de là prendre le commandement de la flotte chrétienne qui devait s’immortaliser à Lépante ; mais ce radieux météore s’éteignit vite. Le jeune vainqueur du croissant alla mourir en Flandre, à trente ans, d’un mal foudroyant, inconnu. Sa gloire avait-elle porté ombrage au défiant Philippe II ? Le sombre hôte de l’Escurial avait-il craint de voir l’amour des peuples se porter sur cette jeune et brillante tête, et le poison ne serait-il point venu en aide à ses terreurs ? Des historiens l’ont affirmé, et la postérité n’a point traité leur imputation de calomnie.

Le duc d’Arcos, qui commandait à Ronda, passa à Grenade pour achever l’œuvre de don Juan d’Autriche. Il ne restait plus qu’une tête à frapper pour en finir avec la révolte. Cette tête était celle d’Aben Aboo ; on ne pouvait l’atteindre par la force, on eut recours à la trahison. Aben Aboo, fugitif, errait de caverne en caverne dans les sierras de Berchulez et de Trevelez. A peine lui restait-il encore quatre cents hommes ; ses auxiliaires turcs et marocains l’avaient eux-mêmes abandonné pour repasser en Afrique. Toute sa confiance dans cette extrémité reposait sur son secrétaire Abu Amer, qui la méritait à tous égards, et sur un monfi nommé Gonzalo Sénix, qui nourrissait contre le roi de l’Alpuxarra une secrète inimitié. C’est à ce cœur vindicatif que la trahison s’adressa, certaine de ne trouver aucune résistance. Une correspondance clandestine se noua entre Gonzalo Sénix et don Léonard Rotulo, gouverneur chrétien du préside de Cadiar, par l’intermédiaire d’un orfèvre de Grenade nommé Barredo, à qui son commerce avait créé des relations nombreuses dans le pays. Aben Aboo eut quelques soupçons de ce qui se tramait ; il prit une nuit avec lui Abu Amer, et, suivi d’une quarantaine d'escopeteros, se rendit à la caverne de Sénix, située dans les flancs inaccessibles du mont Huzum, entre Berchulez et Mécina de Bonbaron. Il laissa son monde à quelque distance, afin de ne pas éveiller la méfiance du monfi, et entra seul dans la grotte. Il lui demanda quelles affaires il avait avec Barredo. « J’allais le dire à votre seigneurie, répondit Sénix. Sachez que nous correspondons pour votre bien et pour celui de tous les malheureux qui languissent dans ces cavernes. Le président de Grenade nous offre notre grace, à la condition que nous nous soumettions à sa majesté ; nous serons libres d’aller vivre où bon nous semblera, sans compter les graces et les faveurs qui pleuvront sur nous. » À ces mots, il produisit une lettre de Barredo, où toutes ces belles promesses étaient exprimées au nom du président Deza et du duc d’Arcos. Aben Aboo entra dans une grande colère, et, jetant sur le monfi des regards terribles, il s’écria que tout cela n’était que mensonge