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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/507

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et trahison. Là-dessus, il voulut sortir de la grotte pour appeler Abu Amer ; mais Sénix, qui avait avec lui six de ses parens, gens déterminés et prêts à tout, le terrassa d’un coup de crosse sur la tête, puis l’acheva avec une pierre qui lui tomba sous la main. Les meurtriers cachèrent le corps de leur victime, et le lendemain le transportèrent secrètement sur un âne à la forteresse de Cadiar. Là, pour qu’il ne répandit pas d’odeur, ils l’ouvrirent et le salèrent après l’avoir empaillé. Informé de ce qui s’était passé, le duc d’Arcos ordonna que le cadavre fût conduit à Grenade avec les Mores qui s’étaient soumis. Voici en quels termes un témoin oculaire raconte cette étrange cérémonie.

« Ils entrèrent dans la ville au milieu d’un grand concours de gens désireux de voir le corps du traître qui avait porté en Espagne le titre de roi. En avant marchait Léonard Rotulo, gouverneur de Cadiar. Il avait à sa droite François Barredo, et à sa gauche Sénix, qui portait l’escopette et le cimeterre d’Aben Aboo ; tous les trois étaient à cheval ; le corps suivait sur une mule, soutenu et habillé de manière à paraître vivant ; des deux côtés marchaient les parens de Sénix, armés d’arquebuses et d’escopettes. Après eux arrivaient les Morisques soumis, avec leurs bêtes de somme et leurs bagages, portant, les uns des arbalètes sans corde, les autres des arquebuses sans batterie. La compagnie de Louis d’Arroyo bordait la haie, et Jérôme Oviedo, commissaire de la guerre auprès des provinces réduites, fermait la marche avec un escadron de cavalerie. C’est ainsi qu’ils entrèrent en faisant des salves de mousqueterie, auxquelles répondait l’artillerie de l’Alhambra. Ils se rendirent droit au palais de l’Audience, où les attendaient le duc d’Arcos, le président don Pedro de Deza, les membres du conseil et un grand nombre de gentilshommes et de citoyens. Rotulo, Barredo et Sénix mirent pied à terre et allèrent baiser la main au duc et au président. En leur faisant sa révérence, Sénix leur remit le cimeterre et l’escopette d’Aben Aboo. « J’ai fait, leur dit-il, comme le bon pasteur : ne pouvant ramener à son seigneur la brebis vivante, j’en ai ramené la peau. » Le duc prit les armes en les remerciant tous les trois du bien qu’ils avaient fait dans cette circonstance, et leur promit de solliciter pour eux du roi des récompenses particulières. Il fit ensuite traîner sur la claie et couper en quartiers le cadavre d’Aben Aboo, dont la tête, renfermée dans une cage de fer, fut exposée sur la porte del Rastro, qui mène à l’Alpuxarra. On mit au-dessus l’inscription suivante : « Ceci est la tête du traître Aben Aboo ; que personne n’y touche, sous peine de mort ! »

Sénix reçut avec sa grace la liberté de sa femme et de sa fille, qui étaient au nombre des prisonnières, et, de plus, une pension annuelle de 5,000 maravédis. Un historien du temps, don Diego de Mendoza, qui, lui aussi, a raconté la guerre des Morisques, ajoute que Barredo reçut du roi, pour prix de son stratagème, 6,000 ducats et une maison à Grenade, qui avait appartenu à un More chassé du royaume. Depuis, il passa plusieurs fois en Barbarie pour racheter des captifs, qui le tuèrent eux-mêmes dans un repas. Le fidèle Abu Amer, qui, jusqu’au dernier moment, avait refusé de se soumettre,