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fut pris dans un combat, et subit, vivant, le supplice qu’on avait infligé au cadavre de son maître Aben Aboo.

La guerre était finie ; les vaincus passèrent en grand nombre au Maroc, où ils s’enrôlèrent dans l’armée d’Abdul-Malech, sous le nom d'Andaloux, et contribuèrent à la victoire d’Alcazar-Kébir, où périt dom Sébastien de Portugal. Ceux des Morisques qui préférèrent la soumission à la fuite furent internés dans les différentes provinces du royaume, comme l’avaient été auparavant leurs frères de l’Albaycin et de la Vega. Les terres de l’Alpuxarra furent distribuées à des colons venus en grande partie de la Galice et des Asturies. Quarante ans plus tard, les Morisques furent chassés en masse de cette Espagne, qu’ils avaient si long-temps possédée et fécondée de leurs sueurs[1]. Le fanatisme religieux, qui après tout a fondé la monarchie espagnole, cette sentinelle avancée de la chrétienté, l’emporte, dans cette occasion, sur l’intérêt matériel. L’industrie, le commerce de la Péninsule, son agriculture surtout, ne se sont jamais relevés de l’atteinte que leur a portée l’expulsion des Mores ; mais enfin l’unité péninsulaire est constituée, et l’islamisme a été refoulé pour toujours vers son berceau.

Remarquons, avant de quitter cette Vendée musulmane, que Calderon, contemporain du dernier décret d’expulsion émané de Philippe III, ou, pour mieux dire, du duc de Lerme, a pris visiblement parti pour les vaincus dans sa belle comédie du Siège de l’Alpuxarra. Cette pièce semble une œuvre de réaction ; tout l’intérêt y porte sur les Mores ; leur rébellion est réhabilitée, leurs griefs sont énumérés, exagérés même dans des vers que signerait un bon musulman. Le sujet du drame est historique. Un chevalier more des environs d’Almérie, don Alvar Tuzani, avait perdu sa maîtresse, la belle Maleha, au sac de Galère ; il retrouve parmi les cadavres son chaste corps, percé de deux coups mortels à la poitrine, et jure de la venger à tout prix sur l’indigne chrétien qui avait pu ravir au monde tant de beauté ; il s’enrôle, pour le chercher, dans l’armée chrétienne, et le découvre dans le soldat Garcès. Il y a là une scène pathétique et terrible. Enfermé par hasard avec Tuzani dans la prison d’Andarax, Garcès avoue son meurtre, et, dans le portrait qu’il fait de sa victime, Tuzani reconnaît sa Maleha : il tue le meurtrier d’un coup de poignard, et s’échappe ; mais il est repris et conduit en présence de don Juan d’Autriche, qui lui accorde son pardon à la sollicitation de sa sœur. Or, c’est ainsi, comme dit le poète, que finit Aimer après la mort, ou le Siège de l’Alpuxarra. Quoique le jeune et brillant don Juan intervienne dans la pièce pour la dénouer, comme l’antique deus ex machina, il y fait une assez triste figure et s’y trouve entièrement éclipsé, non-seulement par le héros du drame, mais encore, — voyez l’audace - par Ferdinand de Valor, qui n’est autre, on s’en souvient, que le roi d’un jour Aben Humeya. Il y a bien çà et là quelques restrictions, quelques réticences ;

  1. J’ai vu à Madrid un manuscrit espagnol, écrit par un Arabe, à l’usage des Morisques qui avaient oublié leur langue maternelle. C’est une suite de préceptes entremêlés d’observations sur l’Espagne et la cour de Philippe III.