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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/515

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Je quittai donc, et sans regret, cette première rambla pour une seconde aussi déserte, aussi profonde, mais beaucoup moins large que celle de Cadiar. La nouvelle rambla ne donnait passage à aucun fleuve, pas même au plus mince ruisseau ; seulement quelques sources y filtraient péniblement à travers les sables fins et brûlans qui avaient remplacé les cailloux roulés du matin. Il y avait bien çà et là des myrtes et des buissons de pins maritimes, mais si bas, si chétifs, que des nains seuls auraient pu s’y abriter. La chaleur était suffocante ; des deux côtés s’élevaient de grandes masses de terre blanche dont la réverbération brûlait les yeux, cette gorge étroite était une véritable fournaise. Pas un souffle n’agitait l’air, pas un nuage ne voilait, ne tempérait les rayons de ce soleil incendiaire ; on pouvait tout aussi bien se croire dans quelque défilé du Sahara. La caravane avançait lentement, car les chevaux enfonçaient dans le sable, et les taons les déchiraient. Mes carabiniers, qui avaient commencé la journée en chantant, ne chantaient plus et soupiraient ardemment après une venta qu’ils savaient être dans ces parages. La mule baissait l’oreille, le mozo vivait sur la même espérance que les carabiniers ; moi-même, à vrai dire, je commençais à m’apercevoir que j’étais à jeun, qu’il était midi, et que nous étions en selle depuis trois heures du matin. Enfin la venta si désirée parut à l’horizon et fut saluée par les hennissemens et les hourras combinés des chevaux et des cavaliers.

Après une halte réparatrice dans un bois d’orangers, trésor d’autant plus précieux à pareille heure qu’il était moins attendu, nous poursuivîmes notre route de rambla en rambla. Je ne saurais dire précisément où j’étais, car nous avions l’air de tourner sur nous-mêmes dans un labyrinthe dont notre guide avait à peine le fil. Tout ce que je sais, c’est qu’on suivait toujours la lisière de l’Alpuxarra, à travers les plis et replis de la Contraviesa. Tous ces défilés se ressemblent, sauf un cependant qui me frappa et que j’entendis nommer, si j’ai bonne mémoire, Burdamarela. Figurez-vous deux arêtes de rochers rouges taillés et découpés de la manière la plus bizarre, ceux-ci en aiguille, ceux-là en coupole, d’autres en statues fantastiques, tous également pittoresques ; un ruisseau rouge aussi, et qu’on prendrait pour un ruisseau de sang, tombe en cascade le long de leurs flancs décharnés et va faire tourner au fond de cet abîme, digne de l’enfer de Dante, le plus prosaïque de tous les moulins. Par un contraste étrange et charmant, une grande et belle fille aux yeux noirs, aux dents blanches, la première figure humaine que j’eusse rencontrée de la journée, me vint présenter gracieusement de l’eau qu’elle avait puisée dans un vase de bois ; elle ne pouvait certes nie faire un cadeau plus agréable, et ne voulut accepter en échange qu’une place dans mes prières por la pobre Alpuxarreña, pour la pauvre habitante de l’Alpuxarra.

Était-ce vraiment la fille du moulin, ou n’était-ce pas plutôt la bonne fée des voyageurs ? Le mozo sournois prétendit, lui, que c’était une sorcière, et qu’elle avait jeté un sort sur sa mule, parce que sa mule perdit un fer dans la rencontre. Il fallut quitter les bas-fonds et monter au hameau perdu de Barita, où l’on ne trouva ni fer ni maréchal-ferrant ; force fut de pousser