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No se incuentra donde se quere[1]

Le sentiment exprimé dans ces vers ne manque assurément ni de dignité ni d’orgueil ; il représente fidèlement la fierté native, la personnalité chevaleresque, pundomorosa, du peuple, du vrai peuple espagnol. Les échos de la nuit répétaient encore les dernières notes de la coplita militaire, quand nous arrivâmes devant Almérie. La porte de la ville allait se fermer, car il était tard. La population des campagnes était depuis long-temps couchée, celle de la ville l’était aux trois quarts ; aussi ne fut-ce pas sans peine, et surtout sans attendre (en Espagne on attend toujours), que je parvins à me faire ouvrir la posada de San-Fernando.


III.

Selon l’opinion commune, qu’on nous pardonnera de résumer en deux mots, Almérie est une cité phénicienne ; son premier nom fut Port-Grand ; les Romains la baptisèrent Urci ; elle s’appela ensuite Viji, et son nom actuel, qu’elle tient des premiers Mores débarqués en Espagne, veut dire en arabe miroir. Sœur aînée de Grenade, Almérie fut sa rivale et brilla long-temps avant elle, témoin ce vieil adage populaire :

Almérie était Almérie,
Grenade était sa métairie.

Indépendamment de ses produits agricoles, elle avait de grandes manufactures d’étoffes de soie, d’or et d’argent : son commerce était si étendu, si prospère, qu’on l’appelait la Clef du Gain, Llave de Ganancia. En 1147, les Génois assiégèrent cette ville avec une armée navale composée de soixante-trois galères et de cent soixante-trois bâtimens de transport ; malgré des forces si imposantes, ils ne vinrent à bout de leur entreprise que grace à l’assistance du roi de Castille et du comte de Barcelone, dont les troupes attaquèrent la place par terre, tandis qu’eux-mêmes l’assaillaient par mer. Quelle idée tant d’efforts réunis contre une seule ville ne donnent-ils pas de sa puissance ! Quoique poussé avec vigueur, le siège dura long-temps. La défense des Mores fut héroïque, mais inutile ; ils succombèrent. Emportée d’assaut, Almérie fut livrée au pillage. Le butin fut immense ; entre autres richesses, les vainqueurs en rapportèrent la fameuse coupe d’émeraude, sacro catino, qui fit sous l’empire le voyage de Paris, et qui, restituée à Gênes en 1815, est conservée aujourd’hui dévotement dans le reliquaire de la cathédrale. Telle est l’origine que don Diego de Mendoza, dans son Histoire de la Guerre de Grenade, et les chroniqueurs les mieux informés attribuent à la précieuse relique de San-Lorenzo ; mais s’il faut en croire les Génois, le sacro catino aurait été conquis à Césarée au temps des croisades, bien des siècles auparavant, il aurait, selon eux, figuré parmi les présens offerts à

  1. « Je ne suis duc, comte ni marquis, je suis un pauvre galérien ; mais un cœur qui souffre et se tait ne se rencontre pas où l’on veut. »