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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/522

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aussi la guerre civile faisait-elle bien leur affaire ; ils n’y voyaient qu’une diversion favorable à leur âpre négoce. Tandis qu’on se battait en Navarre, les côtes d’Andalousie étaient dégarnies de troupes, et le métier n’en allait que mieux. On ne se figure pas la masse de produits britanniques introduits ainsi dans la Péninsule, sans compter ceux qui y entrent par les voies régulières ; les villes et les campagnes en sont inondées ; un jour suffit à l’approvisionnement d’une année. Fondez, après cela, une industrie nationale. Encore quelques années de ce régime, et l’Espagne pourrait se trouver, vis-à-vis de l’Angleterre, à l’état de colonie, comme le Portugal l’est depuis le traité de Méthuen. Je tiens le fait suivant d’un ministre anglais à Madrid. Le chiffre des exportations destinées à l’Espagne dans une seule ville, Liverpool, et pour un seul article, le coton, a dépassé, en un seul mois, le chiffre des importations totales de la douane espagnole pendant toute une année, et pour tous les articles de tous les pays. L’excédant était entré par contrebande. Quelle perte énorme pour le trésor ! Les choses en sont arrivées à ce point que les manufacturiers catalans vendent, comme provenant de leurs propres fabriques, des tissus anglais marqués à leur nom par leurs correspondans de Manchester ou de toute autre place, et introduits en fraude dans leurs magasins. Jamais l’exploitation d’un peuple par un autre ne s’est pratiquée sur une plus grande échelle et par des moyens plus machiavéliques. La ruse échoue-t-elle, on recourt à la violence, et le droit du plus fort est là pour couvrir et légitimer les iniquités les plus criantes ; les croisières anglaises n’ont pas d’autre but, et les huit cents canons de Gibraltar, contre qui donc croyez-vous qu’ils soient braqués ? Tout le monde le sait, tout le monde le dit ; mais on le répète en vain tous les jours et dans toutes les langues : l’Angleterre n’en poursuit pas moins sa route en ligne droite avec une persévérance, une audace, qui ont fait d’elle l’arbitre suprême de tous les marchés.

La première chose qu’on montre d’ordinaire à un voyageur dans une ville étrangère, surtout au midi de l’Europe, c’est la cathédrale, qu’elle en vaille ou non la peine. Celle d’Almérie est un assez beau vaisseau du XVIe siècle ; mais elle est fort basse, par crainte sans doute des tremblemens de terre, et, contemporaine des révoltes morisques, elle a je ne sais quel faux air de forteresse, comme si, en cas d’attaque, elle avait dû servir de refuge aux fidèles. On y voit encore des citernes, et le clocher carré aurait pu, au besoin, faire une bonne défense. Ici, du reste, il n’est pas question d’architecture : montueuses et tortueuses, pavées mal ou pas du tout, les rues, percées au hasard, s’en vont où elles peuvent et comme elles peuvent ; jetées pêle-mêle les unes par-dessus les autres, les maisons affectent la même liberté, le même désordre. La plupart sont carrées, et toutes, soigneusement passées à la chaux, se terminent par des terrasses où l’on prend le frais pendant les soirées d’été. Si, au lieu de s’ouvrir sur la rue, les croisées s’ouvraient en dedans sur les cours intérieures, on prendrait ces habitations pour des maisons moresques. A cela près, il n’existe pas dans toute l’Espagne une ville dont la physionomie soit plus arabe que celle d’Almérie, vue surtout à vol d’oiseau. J’avais quelque peine à ne pas me croire de l’autre côté de la Méditerranée.