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être faite sans dépasser des limites qu’atteignent aujourd’hui beaucoup d’entreprises particulières. La France possède une colonie dont les ressources éventuelles sont incalculables, la Guyane, et qui néanmoins, dans l’état de dépérissement où on la laisse, ne représente qu’un assez faible capital. La métropole peut donc contribuer à sa régénération sans assumer une responsabilité trop lourde. Nous allons voir que tout dans cette contrée semble se prêter aux idées de colonisation émises par M. Jules Lechevalier.


I. – L’ETAT DE LA GUYANE

La portion française de la Guyane présente une superficie qu’on a évaluée à 18,000 lieues carrées, c’est-à-dire égale aux deux tiers du territoire français. La région intérieure est trop peu connue pour qu’il soit possible d’en apprécier les ressources. Les basses-terres de la zone maritime, dont le développement est d’environ 120 lieues sur une profondeur moyenne de 20 lieues, sont d’une incomparable fertilité. Lorsqu’on interroge, en s’aidant d’une intéressante publication[1], plus de cent voyageurs qui ont exploré le pays depuis la fin du XVIe siècle, on est frappé de l’unanimité de leur exaltation à la vue de tant de richesses naturelles. Pour ne citer que le plus récent, Schomburgk, savant anglais, chargé par son gouvernement d’une étude sur le pays, déclare que peu de parties du globe peuvent être comparées à la Guyane pour le luxe et la vigueur de la végétation. L’été y est éternel, et la puissance du sol, secondée par certains phénomènes de température, procure une succession non interrompue de récoltes ; l’arbre se couvre de nouvelles fleurs avant qu’il soit dépouillé de ses fruits. Les engrais, le labourage, les assolemens, les jachères, y sont des procédés inconnus, parce qu’ils ne sont pas nécessaires. Il suffit de remuer la terre assez pour recouvrir la semence. Le colon en est resté à la culture du sauvage. La seule peine qu’il prend est de défricher un nouveau terrain dès qu’il croit remarquer que son champ se fatigue.

Les denrées de l’Inde, de la Chine, de l’Arabie, des Moluques, de l’Afrique, réussissent à la Guyane aussi naturellement que celles qui sont la base du commerce intertropical. Et pourtant l’agriculture ne serait pas encore la veine d’exploitation la plus féconde ! La Guyane,

  1. Extraits des auteurs et voyageurs qui ont écrit sur la Guyane, par M. Victor de Nouvion, 1 vol. in-8o, chez Didot.