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à l’exception des petits coins de terre que les Européens ont déblayés, n’est encore qu’une forêt aussi majestueuse par son immensité que par sa prodigieuse richesse. On y a compté déjà cent huit espèces de bois. Des arbres gigantesques, portant leurs têtes à des hauteurs dont l’Européen ne peut se faire idée, entrelacent leurs branches variées d’aspect et de feuillage. Quelques-uns, d’un grain prodigieusement serré, ont été reconnus par les ingénieurs anglais comme les meilleurs pour la marine. Beaucoup d’autres, aussi variés pour la qualité que pour la nuance, sont précieux pour l’ébénisterie. Les bois de teinture, les arbres à gomme, à résine, à baumes, les plantes aromatiques et médicinales, sont en aussi grand nombre que dans les contrées les plus favorisées. Chose étrange, et qui paraîtrait incroyable sans le témoignage unanime des voyageurs, dans cette nature indomptée, les animaux dangereux sont rares et peu menaçans pour l’homme[1]. Ceux au contraire dont on peut tirer parti pour l’alimentation ou pour l’agrément s’y multiplient étonnamment ; la pêche surtout, aussi variée qu’abondante, peut donner lieu à un grand commerce de salaisons. Nous ne pousserons pas plus loin cet inventaire des richesses de la Guyane. Si nous répétions tout ce qu’en ont dit les voyageurs depuis trois siècles, nous aurions l’air de lancer un de ces programmes effrontés qui se démentent eux-mêmes par de ridicules exagérations.

Que faisons-nous cependant de ce magnifique domaine que nos pères avaient ennobli en lui donnant le nom de France équinoxiale ? Sur les deux mille lieues carrées des basses-terres, une dizaine de lieues seulement sont occupées, mais non pas complètement mises en culture. Quant à la région des hautes-terres, qui est grande comme un royaume, on s’en préoccupe si peu, que depuis plus d’un siècle on néglige d’en déterminer exactement les limites. Dans l’origine, les droits de la France s’étendaient au sud jusqu’au fleuve des Amazones. En 1713, les négociateurs d’Utrecht réservèrent exclusivement au Portugal la navigation de ce fleuve en lui attribuant « la propriété des terres appelées du Cap-Nord, et situées entre la rivière des Amazones et celle de Japoc ou de Vincent Pinçon. » S’autorisant de la vicieuse rédaction de cet article, la cour de Lisbonne prétendit reculer les frontières de la Guyane portugaise jusqu’à l’Oyapock, c’est-à-dire

  1. « Les reptiles venimeux, dont si mal à propos on épouvante l’Européen, n’existent pour ainsi dire pas dans ce canton (les hautes-terres) de la Guyane. Les bêtes féroces y sont très rares, et tous ces animaux sont d’une timidité extrême. Le tigre même n’ose attaquer l’homme. » (M. Dumonteil, officier du génie maritime, 1823.)