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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/531

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cinquante lieues plus loin que la petite rivière qui porte à la fois le nom indien de Japoc et celui de l’Européen Vincent Pinçon. Voilà cent trente-deux ans que cette difficulté diplomatique est pendante, tant est grande l’insouciance de nos hommes d’état pour nos intérêts coloniaux !

Quelle est donc la cause de cette incurie ? Une crainte traditionnelle et vague, une accusation mille fois démentie. En deux circonstances également malheureuses, quoique bien différentes, un assez grand nombre de nos compatriotes ont trouvé leur tombeau à la Guyane. Il en est resté contre ce pays un sentiment de défiance, une de ces incriminations irréfléchies, et d’autant plus fâcheuses, que personne n’a un intérêt direct à les contrôler. On croit presque généralement en France que la Guyane est insalubre. L’opinion publique, qui n’analyse jamais ses sentimens et qui les conserve jusqu’à ce qu’un préjugé contraire les efface, est encore, relativement à la Guyane, sous l’impression déjà ancienne de deux catastrophes, le désastre de Kourou en 1763 et la fin tragique des victimes du 18 fructidor. On revient aisément de cette prévention dès qu’on étudie historiquement les tentatives faites jusqu’à ce jour pour utiliser la France équinoxiale ; loin d’y trouver des motifs de découragement, on n’y puise que des leçons utiles et même une sorte d’excitation pour l’avenir.

Il paraît certain que des Français avaient pénétré dans la Guyane, dès l’époque où l’aventureux Walter Raleigh traversait ce même pays pour atteindre El-Dorado, objet de ses rêves. Toutefois nos premiers établissemens datent, comme presque tous nos essais de colonisation, du ministère de Richelieu. Quelques centaines de colons français étaient déjà disséminées entre l’Amazone et l’Orénoque, lorsque des négocians rouennais obtinrent, en 1633, le privilège d’une compagnie d’exploitation dite du Cap-Nord. Après quelques essais infructueux, on crut donner du ressort à l’entreprise en lui adjoignant comme chef militaire un certain Poncet de Brétigny. C’était, par malheur, un de ces aventuriers très communs alors, que l’orgueil du commandement et une cupidité effrénée poussaient à la dernière extravagance. Il faisait marquer au front, avec un fer estampillé à son nom, ceux qui désobéissaient à ses ordres. Aussi superstitieux que cruel, il punissait sans pitié les moindres infractions aux préceptes de l’église : il lui arriva même de torturer des gens dont le seul crime était d’avoir fait des rêves de mauvais augure. Cet odieux despotisme exaspéra les indigènes, et provoqua un massacre dans lequel le gouverneur périt avec presque tous les Français. Une nouvelle compagnie dite des douze