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seigneurs, parce qu’elle comptait autant de chefs associés, recruta sept à huit cents hommes, qu’elle embarqua en 1652, sous le commandement d’un gentilhomme normand nommé Royville, A peine en mer, les associés se désunirent ; le sang coula sur le vaisseau ; le commandant fut poignardé. Au terme de leur voyage, les colons se trouvèrent sous la conduite d’une dizaine de nobles bandits qui ne tardèrent pas à s’entr’égorger. A la suite d’une petite guerre intestine, un des douze fut décapité, trois autres relégués dans les déserts ; les suites de la débauche firent bientôt justice du reste. Nous laissons à penser ce que dut être la colonie qui se forma à la suite d’une expédition ainsi conduite.

Pendant que la France jetait à la Guyane, comme dans les Antilles, les enfans perdus de ses grandes villes ou des niais recrutés dans les cabarets de village, la Hollande envoyait dans ses possessions loinlaines des cultivateurs imbus de l’esprit de famille, laborieux et persévérans, aussi habiles à vaincre les élémens et les obstacles naturels qu’à entraver les établissemens des autres peuples. L’île de Cayenne, que l’on croyait abandonnée par les Français, tant leurs affaires y étaient désespérées, offrit un refuge aux Hollandais chassés du Brésil. Juifs pour la plupart, ils firent un appel à leurs coreligionnaires d’Europe, et moins de dix années leur suffirent pour organiser l’exploitation du pays. Le spectacle de leur prospérité excita la jalousie des premiers possesseurs. Le roi de France, se déclarant le souverain légitime de tout le pays compris entre l’Amazone et l’Orénoque, bien que plusieurs points du littoral fussent occupés par les Anglais, donna ordre à ses lieutenans maritimes de reprendre Cayenne. Les Hollandais eussent néanmoins obtenu l’autorisation d’y rester ; mais, craignant d’être inquiétés pour cause de religion, ils se retirèrent à l’ouest du Maroni, dans la région de Surinam. Pendant la plus grande partie du règne de Louis XIV, Surinam et Cayenne vécurent, comme leurs métropoles, en état de guerre, et se comprimèrent mutuellement par la crainte qu’elles s’inspiraient. Le traité d’Utrecht consacra le partage définitif de la Guyane entre la France et la Hollande. La colonisation hollandaise, poussée avec le plus grand succès du Maroni jusqu’à l’embouchure de l’Orénoque, excita la convoitise de l’Angleterre, qui trouva moyen d’en ravir la moitié. Le retour de la paix fut moins profitable à la partie française. La culture des terres resta concentrée dans l’île de Cayenne, dont la population, vers 1750, dépassait à peine cinq mille personnes, y compris les esclaves. La France possédait à cette époque des colonies si vastes et si florissantes, qu’elle n’éprouvait