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de travailler, exigèrent en revanche une double corvée de ceux qu’ils considéraient comme leurs vassaux. La fatigue excessive des uns, l’oisiveté non moins dangereuse pour les autres, la mauvaise nourriture, l’ennui, la discorde, le désespoir, firent de la colonie un foyer dévorant de contagion : treize mille personnes périrent dans des souffrances atroces ; les autres n’échappèrent à la mort qu’en se dispersant. En moins d’une année, un capital de 33 millions avait été englouti ! Cet affreux dénouement, qui mettait en deuil tant de familles, causa en France une consternation générale. Le parlement évoqua l’affaire ; il en résulta un interminable procès, qui fut étouffé plutôt que vidé. Pour excuser leur impéritie, les accusés s’appliquèrent à décrier le climat équinoxial : ce moyen de défense, répété pendant dix années, finit par enraciner dans les esprits le préjugé contraire à la colonie.

La partie éclairée du public savait si bien à quoi s’en tenir sur l’affaire du Kourou, que jamais les projets pour la régénération de la Guyane ne furent plus nombreux que depuis cette catastrophe jusqu’à la révolution. Les seules entreprises fructueuses ont été les travaux de dessèchement exécutés pendant la trop courte administration de Malouet. En 1789, l’orage révolutionnaire commença à gronder sur les colonies. Appelés à la liberté subitement et sans condition, les esclaves, pour qui la liberté était la cessation du travail, abandonnèrent la culture. En dépit des déclamations de la tribune parisienne, il fallut en venir aux moyens de rigueur pour ramener les noirs sur les plantations : le sang coula plus d’une fois dans les émeutes et sur les échafauds. Pour le nègre, la différence entre les deux régimes se résuma ainsi : esclave, il était contraint de travailler sous la peine du fouet ; citoyen libre, il fut invité à travailler sous peine de mort. L’esclavage franchement avoué fut rétabli par la loi de 1802 ; mais le génie colonial était dérouté, et d’ailleurs la guerre maritime suspendait les communications avec la métropole. A défaut de commerce, les spéculateurs eurent l’idée d’armer des corsaires : leurs premiers succès attirèrent promptement les représailles. En 1809, les Portugais, soutenus par les forces anglaises, surprirent Cayenne et l’occupèrent jusqu’aux traités de 1815 ; il est juste de dire que leur domination, douce et équitable, n’a laissé dans le pays que de bons souvenirs. La pacification de l’Europe rendit la Guyane à la France. Depuis cette épode, l’opportunité de coloniser cette belle possession a été d’autant mieux sentie que la suppression de la traite et l’amoindrissement