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de la population font craindre une ruine complète. Qu’en est-il résulté ? Beaucoup de projets avortés, de tentatives mesquines sans appui sincère de la part du gouvernement, ont été plus nuisibles à la colonie qu’une indifférence absolue.

A la fin de la période révolutionnaire se rapporte un incident non moins déplorable, non moins funeste pour la Guyane que l’expédition de 1763 : nous voulons parler des déportations en masse décrétées en fructidor contre les fauteurs et les complices présumés d’une conspiration royaliste. Un parti actif et puissant se trouva intéressé à dire que le gouvernement républicain, trop affaibli pour oser livrer ses ennemis aux bourreaux, les condamnait à respirer un air empoisonné, et par malheur la mort d’un assez grand nombre des exilés donna quelque vraisemblance à cette accusation. La passion qui a faussé le regard et troublé le jugement des contemporains est loin de nous aujourd’hui. Représentons-nous donc trois à quatre cents hommes, prêtres, anciens nobles, députés, savans, avancés en âge pour la plupart, surpris par un décret foudroyant, arrachés à leurs familles, à leurs habitudes, entassés dans les entreponts d’un vaisseau, sans secours, quelquefois même sans nourriture, pendant une longue traversée, et puis jetés nus et souffrans dans des cantons déserts[1], où ils doivent improviser des moyens d’existence, où leur liberté même est entravée par des précautions de police ! Le seul étonnement qu’on doive éprouver, ce nous semble, est que sur trois cent vingt-huit déportés cent soixante-un seulement, un peu moins de la moitié, aient succombé.

À ces préventions injustes opposerons-nous les témoignages recueillis par M. de Nouvion ? Soixante-treize voyageurs s’accordent à vanter la salubrité de la Guyane avec l’accent passionné de la conviction. Ce n’est pas assez pour quelques-uns d’entre eux de garantir la salubrité de l’air ; ils lui attribuent une vertu préservative contre beaucoup d’affections chroniques. Un des plus anciens explorateurs français, Boyer de Petit-Puy, disait, dès l’année 1654 : « Ceux qui vont dans ce pays-là, et qui sont sujets aux gouttes, aux catarrhes, aux sciatiques, aux fluxions et aux humeurs, reviennent en parfaite convalescence. » Nous lisons dans la dernière relation, celle de Schomburgk, qui porte un caractère scientifique : « La phthisie est inconnue sur la côte ; des personnes atteintes de cette maladie et arrivant d’Europe ou du nord de l’Amérique se sont parfaitement remises. » Nous

  1. A Sinamari et à Conamana.