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régime. Un des publicistes accrédités du dernier siècle, Forbonnais, écrivait en résumant les principes politiques du commerce : « Il faut que le premier établissement se fasse aux dépens de l’état qui fonde les colonies, ou qu’il garantisse les avances qui leur seront faites par les négocians[1]. » Laissons de côté les considérations politiques, pour ne voir que les problèmes financiers. Le gouvernement français, en prenant l’engagement moral d’abolir l’esclavage, a contracté l’obligation d’indemniser les propriétaires d’esclaves ; c’est une dette d’honneur qu’il faudra acquitter tôt ou tard. Il s’agit pour lui de savoir si, au moyen de son crédit, il pourra éviter de payer l’indemnité. La Guyane est le lieu choisi pour l’expérience. La part de cette colonie serait d’environ 14 millions payables dans dix ans, si on laissait aux maîtres les bénéfices de l’esclavage jusqu’à cette époque, conformément à l’avis de M. le duc de Broglie, ou de 20 millions, si l’on préférait restituer immédiatement le prix intégral des esclaves. Dans la première hypothèse, la seule admissible, l’état serait grevé d’une rente de 400,000 fr., auxquels il faudrait ajouter une somme de 200,000 fr. pour surcroît de frais d’administration nécessités par le régime de la liberté ; soit, à perpétuité, 600,000 fr. par année.

Plaçons-nous au contraire au nouveau point de vue indiqué par les colons. La compagnie de la Guyane étant constituée pour quarante-sept ans[2] au capital de 50 millions ; le gouvernement s’engagerait à assurer pendant cette période un intérêt de 4 pour cent, c’est-à-dire 2 millions par année. Pour que l’affaire tournât au préjudice du trésor, il faudrait que le revenu de la colonie régénérée tombât au-dessous de cette somme[3] : le cas est-il possible ? Nous ne le croyons pas. Dans l’état de dépérissement où se trouve la Guyane, les statistiques officielles lui attribuent un revenu net de 4,500,000 francs. Cette évaluation est peut-être exagérée ; réduisons-la d’un tiers, et contentons-nous de 3 millions. Comment admettre qu’une terre vivifiée par un capital abondant et par un travail mieux réglé rendra moins qu’à l’époque du découragement et de la pénurie ? Examinons toutes les hypothèses que la prudence peut suggérer. Dira-t-on que les actionnaires,

  1. Elémens du Commerce, seconde édition, t. Ier, p. 361.
  2. Ce terme (46 ans et 324 jours) sera celui de la société : la durée, égale à celle de la compagnie du chemin de fer d’Orléans, est calculée de telle manière que le capital puisse être reproduit par la retenue de 1 pour 100 comme fonds d’amortissement.
  3. Peut-être la responsabilité de l’état serait-elle moindre. Les capitaux qui n’ont aucune chance à courir se contentent aujourd’hui d’un intérêt de 3 pour 100.