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satisfaits du revenu assuré par l’état, négligeront l’entreprise au point de la compromettre ? Mais les colons qui entrent dans l’affaire, en s’interdisant pour long-temps d’en sortir, connaissent mieux que nous les ressources de leur pays : ce revenu qu’on leur offre, réduit à 3 pour 100 par la réserve de l’amortissement, est à peu près le tiers de celui qu’ils obtiennent aujourd’hui. S’ils mettent leur fortune en jeu, c’est qu’ils jugent les chances favorables ; leur confiance devient pour les autres actionnaires le premier motif de sécurité. Les mesures les plus ingénieuses sont combinées pour que la transition de l’esclavage au régime du travail libre ne diminue pas la somme des produits. Une objection que les esprits timides emprunteront aux adversaires des colonies est que, si les opérations de la compagnie étaient entravées par une guerre maritime, le trésor resterait à découvert vis-à-vis des actionnaires qu’il aurait garantis ; mais on peut éviter ce danger par des arrangemens pris avec les compagnies d’assurances françaises et étrangères. Le cas des mauvaises récoltes est également prévu : l’équité veut que le trésor récupère sur le gain des bonnes années le déficit des années précédentes. Poussons enfin les choses à l’extrême : en supposant que les bénéfices tombassent accidentellement au-dessous de l’intérêt à servir et que la responsabilité de l’état fût invoquée, les déboursés du trésor ne seraient qu’une avance qui lui conférerait une sorte d’hypothèque sur une propriété territoriale d’une valeur certaine.

La garantie éventuelle de l’état, légalisée par les chambres, donne à l’entreprise force d’existence. Elle s’organise comme les grandes sociétés coloniales dont le rôle a été si brillant en Hollande et en Angleterre, en livrant sa charte à la double sanction du pouvoir et de l’opinion publique. Son conseil d’administration, qui prend siège à Paris, réunit, sous la surveillance directe de l’état, les représentans de l’intérêt colonial, du capital métropolitain, de l’industrie et du commerce des villes maritimes. A la Guyane même, les agens locaux sont choisis parmi les colons sédentaires le plus intéressés à une bonne gestion. Ainsi constituée sous le titre de Compagnie de la Guyane française, son premier acte est la conversion des anciens titres de propriétés en actions nominatives et de fortes sommes, conçues de manière à ce qu’elles restent dans les mains des titulaires assez long-temps pour que l’opération ne soit pas souillée par les manœuvres de l’agiotage. Cette réserve suffirait pour indiquer une société honorable et sérieuse, qui veut élever sa spéculation à la hauteur d’une œuvre nationale.