Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

III. – ORGANISATION DU TRAVAIL LIBRE

La corporation commerciale existe : transportons-nous dans le Nouveau-Monde pour la voir à l’œuvre. Dès que la charte de la compagnie est promulguée, il n’y a plus d'esclaves, il n’y a plus de maîtres dans ses domaines ; il y a des propriétaires d’actions qui intéressent au travail des ouvriers libres. Il est important de remarquer que ce mode d’émancipation ne préjuge rien en ce qui concerne nos autres colonies ; il n’exige pas le concours des corps législatifs ; les nouveaux propriétaires usent du droit qu’ils ont acquis d’affranchir leurs esclaves : ils répètent en grand ce qui est pratiqué chaque jour par les particuliers.

Le point fondamental est le règlement du travail libre. L’esclavage coûte plus cher que la liberté ; c’est un fait prouvé depuis long-temps par l’économie politique, et les planteurs, malgré leurs préjugés, auraient donné les premiers le signal de l’affranchissement, s’ils ne craignaient pas que les esclaves, rendus à eux-mêmes, n’abandonnassent les cultures coloniales. Ce n’est pas à dire que les noirs ne travaillent que sous le fouet. Il y a sans doute dans cette race comme dans la nôtre des êtres abrutis, des personnes incorrigibles : quant à la généralité, elle suit comme partout l’impulsion instinctive du caprice et de l’intérêt. Pourquoi la production du sucre a-t-elle été réduite par l’émancipation anglaise ? C’est qu’un grand nombre d’affranchis, et les plus intelligens sans doute, ont pu acheter à vil prix des terres incultes, et spéculer pour leur propre compte sur la vente des vivres : la masse du travail a été, non pas amoindrie, mais déplacée, et dans les îles où la désertion des anciens ouvriers n’a pas été immédiatement réparée, les salaires se sont élevés à un taux ruineux. A plus forte raison, pareille chose arriverait-elle à la Guyane française, dont les vastes déserts appartiennent pour ainsi dire au premier occupant, si la liberté était accordée sans garantie. M. J. Lechevalier résout la difficulté en interdisant d’une part la spéculation sur les vivres aux affranchis, et d’autre part en les rattachant à la grande industrie coloniale par les avantages les plus séduisans.

Ce privilège de la culture et de la vente des vivres, combiné avec une taxe des salaires faite par le gouvernement, est la base de tout le système ; il n’y a pas d’autre moyen d’empêcher les noirs de chercher dans le petit jardinage une indépendance qui ramènerait la plupart d’entre eux à la sauvagerie. Il ne faut pas s’effrayer de cette double clause ; elle n’a pas à beaucoup près, dans le Nouveau-Monde, l’importance qu’elle aurait