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de la Guyane, ce sera une industrie à créer complètement. On commence à transporter de Demerari à Liverpool des bois qui ont été reconnus préférables à tous les autres pour les constructions navales. En France, où l’importation annuelle des matériaux de charpente est de 38 millions, où la destruction des bois propres à la marine est depuis long-temps un sujet d’inquiétude[1], on a plus d’une fois tourné les yeux vers la Guyane : toutes les expériences ont été favorables. Récemment encore M. Estancelin, député de la Somme, établissait dans un mémoire intéressant que des bois de qualité supérieure coûteraient 20 pour 100 de moins rendus en France que les plus belles qualités du chêne ; il faisait ressortir les avantages que trouverait la marine marchande à l’approvisionnement de nos chantiers : mais il y a loin du projet à l’exécution ; la vue de nos administrateurs porte rarement à quatorze cents lieues de distance. Une compagnie installée dans le pays pourrait seule organiser une exploitation de concert avec le gouvernement. Les grandes coupes faciliteraient le débit des bois de petites dimensions. Un pays français qui compte dix-sept espèces précieuses pour l’ébénisterie de luxe fournit à peine à la France la centième partie de ce qu’elle est obligée d’acheter, 63,400 en 1840, sur une importation totale de 6,500,000 francs !

Les spéculations sur les forêts tentées jusqu’à ce jour ont échoué ou faiblement réussi[2] ; c’est que, dans une contrée non frayée, les frais nécessaires pour ouvrir des routes, portant sur la seule industrie des bois, l’écrasent avant qu’elle ait pu se développer. Lorsque tous les intérêts seront associés, il deviendra possible d’établir un système de communications rurales, combiné avec un service de cabotage, parce que les dépenses seront à répartir entre les diverses branches d’exploitation. Le génie de la mécanique obéira à l’appel des capitaux. On empruntera à la Guyane anglaise l'excavator, appareil gigantesque et d’invention récente, pour ouvrir des canaux de desséchement et reprendre l’œuvre d’assainissement que Malouet et Guisan laissèrent inachevée. On introduira pour les défrichemens une autre machine en usage aux États-Unis, le grubber, qui saisit les arbres et les arrache du sol. On économisera la force humaine dans toutes les

  1. Sous le règne de Henri IV, on comptait en France 35 millions d’hectares de forêts. On n’en compte plus que 7 millions aujourd’hui ; encore la marine n’a-t-elle conservé le droit de prise que dans 3 millions d’hectares.
  2. A l’exception de l’établissement de la Mana, où les religieuses de Saint-Joseph, au nombre de trente, sous la direction de Mme Javouhey, leur supérieure, emploient assez avantageusement 500 à 600 nègres à la coupe des bois.