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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/554

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d’une énergie qui proportionne ses forces à toutes les fatigues, à tous les dangers ; son aptitude aux cultures tropicales est prouvée par l’histoire, par d’innombrables témoignages, par l’état présent de plusieurs pays. Les plus rudes travaux de l’agriculture, les défrichemens, n’ont-ils pas été accomplis par des Européens dans presque toutes les contrées qui produisent le sucre ? Le travail de colonisation a été commencé à la Jamaïque, à la Trinité, à Honduras, par des Espagnols, à Tabago, à Surinam, au cap de Bonne-Espérance, par des Hollandais. Les Anglais mirent en culture la Barbade, Antigue, Nevis, Montserrat, et les émigrans se présentaient en si grand nombre, qu’en 1715 plus de 6,000 ouvriers firent voile pour cette dernière île. La Guadeloupe, la Martinique, Sainte-Lucie, Saint-Vincent, la Grenade, Maurice, Cayenne, etc., ont été défrichées par des Français. Beaucoup des colons de nos Antilles qui se parent si fièrement de leur liberté descendent des trente-six mois, c’est-à-dire des premiers pionniers qui obtinrent des concessions de terre après un esclavage de trois ans. Pour la Guyane française, nous remarquerons que l’introduction de la race africaine y est postérieure aux premiers travaux : 14 noirs pris en mer par hasard furent attachés aux cultures. Le motif qui détermina les gouvernemens d’Europe à remplacer les Européens par des nègres fut la crainte d’affaiblir les populations métropolitaines par de fréquens envois d’ouvriers. Les planteurs déjà établis se prêtèrent à cette mesure, parce qu’ils y trouvaient leur compte. Personne alors n’élevait un doute sur l’aptitude des blancs aux travaux dont on fait aujourd’hui le partage exclusif des noirs.

Les avocats de l’esclavage africain ignorent-ils donc qu’aujourd’hui la race noble fournit un nombre considérable de travailleurs sous la zone torride. A Cuba, où les blancs sont en nombre égal avec les noirs, à Porto-Rico, où ils sont cinq fois plus nombreux, la prospérité serait-elle aussi grande, si les esclaves étaient les seuls à manier la pioche ? Sur le même sol que notre Guyane, ne voit-on pas à Surinam des Hollandais, dans le Pernambouc des Portugais, braver impunément les ardeurs solaires ? On dira peut-être que ces blancs sont nés dans le Nouveau-Monde : prouvons donc par des faits précis qu’on y peut travailler sans être acclimaté de longue date.

En 1764, le général d’Estaing apprit que des ouvriers allemands et lorrains, appelés à Saint-Domingue pour y fonder une ville, étaient entassés sans précaution dans des lieux infects et marécageux. Il se hâta de mettre à leur tête un homme intelligent et énergique, Daniel Lescallier, depuis ordonnateur à la Guyane. Deux ans après, les forêts