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torride n’est pas physiquement impossible. Qu’on énumère les expéditions malheureuses, qu’on cite la récente déroute de la compagnie belge du Guatemala ; il n’y a pas lieu pour cela de désespérer. Une colonisation est une bataille livrée contre la nature : on la gagne ou on la perd, selon l’habileté du chef et l’énergie des soldats ; une défaite ne prouve pas que la victoire soit impossible ; où l’un a échoué, l’autre réussit. Quarante mille Européens, poussés par le vertige que Law avait communiqué à son époque, coururent follement au-devant de la mort dans la vallée du Mississipi. Dans ces mêmes déserts s’épanouissent aujourd’hui dix des états les plus florissans et les plus peuplés de l’Union américaine. Citons un exemple plus récent et plus direct. Après l’émancipation anglaise, les planteurs appelèrent des ouvriers de tous les pays, et notamment des mercenaires indiens, connus sous le nom de coolies. Traités d’abord avec une dureté peu intelligente, ces hommes de race timide et passive succombèrent à la fatigue et au désespoir ; leur acclimatement fut déclaré impossible, et les magistrats anglais suspendirent leur introduction. La défense ayant été levée plus tard, les planteurs daignèrent traiter avec équité et douceur des hommes nécessaires à leur fortune ; dès-lors, on a obtenu des coolies de si bons services que leur aptitude aux cultures coloniales n’est plus mise en doute, et qu’on songe dans les Antilles à organiser leur immigration sur une grande échelle.

Mieux vaudrait à coup sûr qu’on utilisât les bras inactifs de l’Europe. Nous remarquons à ce sujet, chez M. J. Lechevalier, beaucoup de hardiesse tempérée par une rare prévoyance. « Défricher un coin de terre, dit-il, au milieu d’une vaste plaine inondée ou couverte de bois, pour y placer quelques familles de cultivateurs, ce n’est pas assainir le pays, c’est au contraire préparer aux colons une place pour y respirer en plus grande quantité les miasmes et les exhalaisons méphitiques. » Ce passage est la critique de presque toutes les entreprises précédentes. M. Lechevalier ne comprend les colonisations qu’avec le secours d’un puissant capital et l’appui moral du gouvernement. C’est presque toujours le souffle du hasard qui pousse les hommes d’une contrée à l’autre, L’émigration, scientifiquement combinée et régulièrement conduite, est peut-être sans exemple. On transporte machinalement sous un ciel nouveau les routines du climat où on est né. Qu’on observe le régime hygiénique de nos pays, et on reconnaîtra que nos habitations, nos vêtemens, notre nourriture, nos usages, sont ordinairement combinés pour réagir contre le froid. Pourquoi sous l’équateur ne se mettrait-on pas en frais d’imagination