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trésor public comme aux capitalistes, à la métropole comme à la colonie, aux maîtres comme aux esclaves. Au prix d’une garantie éventuelle qui probablement ne sera pas invoquée, le gouvernement peut espérer une forte remise sur la vente des terrains qui sont aujourd’hui une valeur morte, une part dans les bénéfices de l’opération au-delà d’un certain dividende, une augmentation notable d’impôts par suite du mouvement commercial[1], et enfin, dans le cas où le procédé français essayé à la Guyane paraîtrait applicable à nos autres colonies, l’avantage d’opérer l’émancipation sans indemnité.

Dans l’état actuel de nos colonies, la propriété donne de gros revenus, mais ne représente qu’un faible capital, parce qu’elle est à peu indivisible, et qu’elle ne peut être réalisée que très difficilement par défaut de concurrence entre les acheteurs. La conversion des titres de propriété en actions transmissibles aura pour effet de constituer le capital colonial, en lui conférant les privilèges dont jouit en Europe la propriété foncière, revenu assuré, réalisation facile. La liquidation des biens hypothéqués, effroi de nos colonies, s’opérera comme par enchantement par le partage équitable des nouveaux titres entre les ayant-droit. Aux propriétaires gravement obérés restera la ressource de trouver dans les cadres de la compagnie l’emploi de leur activité et de leur expérience.

En ce qui concerne l’organisation du travail, nous pensons que jamais contrat plus avantageux n’a été offert à la classe ouvrière. L’association de la terre, de l’argent, de l’intelligence et du travail, rêve impossible dans nos vieilles sociétés, où les professions sont trop diverses, les intérêts trop enchevêtrés, les profits trop minimes, semble réalisable dans une colonie dont les industries sont peu variées et les ressources assez abondantes pour satisfaire tout le monde. Une cupidité aveugle et coupable voudrait créer dans les plus riches contrées du globe ce prolétariat qui n’est qu’un esclavage déguisé. L’Europe doit y mettre empêchement ; il y va de son honneur et de son profit. Belle ressource pour le commerce que ces coolies qui vivent de rien ! Par religion et par économie, l’Indien repousse tout ce que lui offre l’Européen. Un poisson qu’il a pêché, un peu de riz qu’il a récolté, lui suffisent ; il fabrique lui-même ses vêtemens et ses ustensiles de ménage ;

  1. La Guyane coûte aujourd’hui environ 400,000 fr. de plus qu’elle ne rapporte, même en déduisant les 850,000 fr. perçus en France sur ses produits. La Guyane anglaise rapporte au trésor de la Grande-Bretagne plus de 60 millions. Quel contraste ?