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fums de cette modeste fleur des prairies de l’Ellé[1]. Je n’ai à ajouter qu’une remarque oubliée par le critique-poète ; je veux parler des étroites affinités de forme et de rhythme qui rattachent Marie aux Consolations. M. Brizeux, en effet, a reçu de l’auteur de ce recueil et de Joseph Delorme le vers net et souple, nerveux et délié, qui accuse avec relief et franchise les mille détails de la vie réelle qu’on était jusque-là dans l’habitude de taire ou de farder. Sans ce vers à la fois pittoresque et familier, ni Marie, ni les Bretons, ni même quelques parties de Jocelyn, n’étaient faisables. À la fin du dernier siècle, une réforme analogue fut tentée dans la poésie anglaise par quelques écrivains qui forment ce qu’on appelle, de l’autre côté du détroit, l’école des lacs. George Crabbe, en particulier (leur précurseur de quelques années), s’est proposé dans le Village et dans le Bourg, de débarrasser la poésie dite pastorale et descriptive de ses ornemens de convention. Prenant le contre-pied de la manière fleurie de Thomson, Crabbe résolut de peindre au vif la nature et l’homme, principalement la nature agreste et triste qu’il avait sous les yeux, et l’homme des classes pauvres et souffrantes qu’il consolait comme pasteur, et il rendit ses modèles avec une vérité d’aspect, de langage et de sentiment, qui n’avait pas eu d’exemple jusque-là dans l’art moderne, si ce n’est peut-être, mais avec exagération, dans les mendians de Murillo. Or, ce que Crabbe et quelques écrivains de l’école des lacs ont réalisé dans la poésie britannique, l’auteur de Joseph Delorme et des Consolations l’a introduit le premier dans la nôtre, sans imitation des lakistes, de son point de vue personnel et avec l’empreinte propre de son talent. Il a été suivi par plusieurs dans cette voie nouvelle ou plutôt dans cette reprise du tour naïf, un des plus grands charmes des poètes anciens et surtout des poètes grecs. M. Brizeux tient à ce groupe, d’abord par un amour commun du vrai, puis plus directement par l’emploi de certains procédés de versification et de rhythme ; il s’en distingue par la recherche d’un idéal à lui d’une pureté un peu sauvage, et surtout par le soin de renfermer exclusivement ses inspirations et ses peintures dans l’horizon de sa Bretagne.

Nous savions que M. Brizeux avait depuis long-temps sur le chevalet un poème des Bretons, suprême effort et pensée constante de l’écrivain patriote. Aujourd’hui, l’œuvre terminée est sous nos yeux, et le premier examen lui est très favorable. On remarque tout d’abord

  1. Voy. Revue des Deux Mondes, Ire série, 1831, t. IV, p. 595, et IVe série, Numéro du 1er septembre 1841.