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dans les Bretons les qualités qui ont rendu populaire le poème de Marie : pureté du fond et de la forme, composition simple et habile, amours adolescens, paysages variés et calmes. Puis, à ces beautés qui auraient suffi pour une idylle, le poète en a su joindre d’autres d’un ordre différent : plus d’étendue dans les perspectives, plus de vigueur dans les sentimens, une voix plus mâle, en un mot plus de puissance et plus de souffle. Le sujet (je ne m’occupe pas encore de la petite fable qui circule autour du poème et l’entoure moins comme un vêtement que comme une écharpe), le sujet véritable, dis-je, rappelle celui des Géorgiques, moins les préceptes. Le poète s’est proposé de peindre les campagnes bretonnes, ciel et sites, animaux et hommes. Ce qui le préoccupe par-dessus tout, et avec raison, c’est de présenter le tableau complet de l’existence rude, patiente, religieuse, du paysan breton, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, en le montrant sous tous les aspects et dans toutes les conditions qu’il peut prendre, laboureur, tisserand, patron de barque, pêcheur des côtes, conscrit, prêtre même. Si j’ai bien compris le désir de notre poète, il a pour ambition (pour rêve du moins) d’être l’Hésiode des chaumières de la Bretagne. Ce sont, en effet, les travaux et les jours de cette contrée pauvre, forte, laborieuse, qu’il entreprend de chanter. Aussi ses modèles ne sont-ils plus exclusivement l’Anthologie, Bion, Moschus et Greuze ; il n’effeuille plus ses impressions rapides en chansonnettes de rhythmes capricieux. Il introduit bien encore de temps en temps dans la trame du récit les chants alternatifs dont il a appris l’art dans Théocrite ; mais ses véritables et constans modèles sont les grands poètes et les grands peintres de l’épopée rustique, Hésiode, Paul Poter et Virgile. C’est de Virgile (le maître aimable qu’il a si gracieusement salué dans Marie), c’est de Virgile et surtout des Géorgiques qu’il s’inspire le plus souvent. Aussi ne puis-je le mieux louer qu’en disant que, dans plusieurs parties de son poème, dans celles notamment où les animaux sont en scène avec les hommes, il s’élève, sur les traces de ses guides, à toute la hauteur sévère du poème bucolique. On peut en juger par les vers qui suivent :

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L’été, lorsque du ciel tombe enfin la nuit fraîche,
Les bestiaux, tout le jour retenus dans la crèche,
Vont errer librement : au pied des verts coteaux,
Ils suivent pas à pas les longs détours des eaux,
S’étendent sur les prés, ou dans la vapeur brune
Hennissent bruyamment aux rayons de la lune.