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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/575

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fondie, et à qui la discussion ait manqué ? Où sont les productions originales qui aient eu besoin d’être expliquées au public pour les lui faire accepter ? Assurément nos écrivains à la mode charbonnent leurs faciles et immenses compositions en traits assez prosaïquement intelligibles pour se pouvoir passer de commentaires. La critique, cette muse amoureuse de la beauté, perdra-t-elle son temps à guerroyer sans espoir contre toutes les glorieuses monstruosités qui nous inondent, et à prouver magistralement que Maritorne n’est pas Hélène ? Le beau plaisir vraiment, l’agréable occupation que de protester, en Héraclite ou en Jérémie littéraire, contre des engouemens grossiers dont le temps tout seul doit faire justice ! Où il n’y a rien pour l’art, la critique a toute raison de s’abstenir ; le silence aussi est un jugement. Si l’on objectait que la critique doit être toujours militante et sur la brèche, qu’elle est une sorte de maréchaussée intellectuelle, et qu’en cette qualité elle est tenue de faire incessamment la police ; si l’on prétendait que le devoir du critique est, comme celui du louvetier, de s’élancer toujours au plus épais du hallier pour y relancer la bête dans son fort, oh ! alors je me permettrais de trouver la tâche du critique un peu rude ; mais, en définitive, c’est une affaire d’âge et de goût : on peut être bien tranquille ; il y aura toujours de hardis piqueurs, des tirailleurs adroits et alertes, des écoliers en vacance prêts à brûler leur première poudre aux moineaux. Cet âge est sans pitié !… J’applaudis de grand cœur à toute chasse innocente ; je demande seulement que l’on ne blesse et qu’on n’effarouche ni les cygnes du bassin, ni les fauvettes du bosquet, ni le faisan doré de la volière. Quant à moi, qui n’ai qu’un médiocre penchant pour les récréations carnassières, je comparerais plutôt l’art du critique à celui de l’oiseleur qui tend ses filets pour y attirer de beaux oiseaux, au chant suave, au plumage d’azur et de feu. Je comprends la passion de l’amateur qui veut voir, toucher, entendre, du plus près possible, ces oiseaux merveilleux, et, quand il les a vus et revus, leur rend l’espace et le firmament. C’est là, pour moi, la critique.


Charles Magnin.