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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/59

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III. – PRESTON

Il n’y a pas dans l’ordre social une plus grande difficulté que celle du salaire ; ni la science ni la philanthropie ne l’a résolue. L’économie politique, à son début, avait supposé que le prix du travail se mesurait naturellement aux besoins du travailleur, théorie à laquelle les faits donnaient déjà et donnent encore un cruel démenti. La doctrine contraire serait, à tout prendre, infiniment plus exacte. Loin que les salaires suivent la proportion des besoins, ce sont les besoins qui se réduisent au niveau des salaires : voyez l’Irlandais se nourrir des pommes de terre que les porcs dédaignent et se couvrir de haillons. Est-il dans la nature des choses que l’homme descende aussi bas, et ne semble-t-il pas plutôt que la misère ait fait ici violence à ses plus légitimes instincts ?

Aujourd’hui, les économistes enseignent que le travail est une marchandise dont le cours est déterminé, comme celui de toute autre valeur, par le rapport de l’offre avec la demande. Suivant eux, lorsque la demande excède l’offre, le maître ferait de vains efforts pour abaisser le taux des salaires, et quand l’offre excède la demande, l’ouvrier s’agiterait inutilement pour les élever. Cette doctrine, conforme à l’observation, règne désormais dans la science : on reconnaît en elle un axiome inflexible, une loi universelle et immuable comme celles du monde physique. Seulement, et comme pour nous consoler de sa rigueur, l’économie politique a inventé une sorte de gravitation dans l’industrie humaine : « Le prix courant du travail, dit Ricardo, tend à se rapprocher de son prix naturel. »

Malgré cette atténuation, la société, qui accepte le principe ou qui le subit, ne peut pas se résigner entièrement aux conséquences ; on va voir pourquoi. Lorsque la marchandise sur laquelle porte la hausse ou la baisse n’est qu’une cargaison de fers en barre ou de cotons filés, il devient assez facile d’en prendre son parti, car la hausse profite alors ou la baisse est onéreuse au capitaliste, et, le capital étant l’accumulation des épargnes, les provisions de l’industrie, il se fait dans le pays, au pis-aller, une destruction d’embonpoint plutôt qu’une déperdition de substance. Le spéculateur déconfit, le fabricant ruiné, trouve encore à s’employer en qualité de commis ou d’ouvrier ; quand les ressources de l’épargne ou les profits du capital viennent à lui manquer, le salaire lui reste. Derrière cette classe d’hommes, une autre classe est debout, sur laquelle, en cas de désastre, la première