Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut se replier. Mais les ouvriers de l’agriculture et des fabriques, la multitude qui fait la base de l’édifice industriel n’a plus où descendre. Dans les luttes de la production, elle figure un corps d’armée sans réserve ni retraite possible, acculé tous les jours aux plus extrêmes périls. Sur le marché du travail, les risques ne sont plus des chances de gain ou de perte ; c’est l’existence même des travailleurs qui se trouve en jeu. Toute réduction dans les salaires retranche quelque chose de leur chair et de leur sang. On comprend maintenant que les ouvriers résistent à ces retranchemens ; on comprend que la société s’en émeuve. Un principe aussi rigoureux que celui qui tend à faire considérer comme une marchandise le travail de l’ouvrier, la subsistance du peuple, ne s’établira jamais dans les mœurs sans un puissant correctif. L’Angleterre a mis en regard la taxe des pauvres ; mais ce contre-poids, jugé suffisant par ceux qui possèdent, n’a pas satisfait ceux qui produisent. De toutes les formes qu’emprunte la prévoyance sociale, de tous les sacrifices que le capital peut s’imposer en faveur du travail, l’aumône sera toujours celui qui soulèvera les objections les plus vives et les plus fondées.

Les Anglais ont poussé jusqu’à ses dernières conséquences la théorie du salaire. Ils ont voulu non-seulement que le prix du travail fût librement débattu entre les ouvriers et les maîtres, mais que les uns comme les autres eussent la faculté de se concerter sur les intérêts lui leur étaient communs. Dès l’année 1825, les lois qui frappaient les coalitions (combinations) d’interdit ont été rapportées sur la proposition de M. Hume, et, depuis ce moment, le pouvoir légal n’intervient plus dans les débats industriels que pour réprimer les violences qui alarment ou qui troublent la société.

Après comme avant la suppression de ces lois, les ouvriers n’ont fourni au gouvernement que trop d’occasions de le faire. Il n’y a peut-être pas d’exemple en Angleterre d’une coalition qui ait respecté les dissidences individuelles et qui n’ait employé que les moyens de persuasion pour en triompher. Les plus pacifiques au début finissent par des appels à la force brutale. On s’assemble par troupes, on arrête arbitrairement des prix que l’on prétend imposer ensuite ; les ouvriers qui refusent de se joindre au mouvement sont insultés, battus, et voient quelquefois leur vie menacée ; les maîtres qui résistent deviennent l’objet du ressentiment populaire, on ferme leurs ateliers, et l’on désigne souvent leurs manufactures à l’incendie. Le travail est interdit partout ; des contributions sont levées sur les professions encore actives au profit de celles qui chôment ; les classes inférieures