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temps pour m’habituer ces petits chevaux barbes si vifs, si alertes. On est tout surpris d’abord de la pétulance de leurs mouvemens ; si l’on approche les jambes, ils bondissent avec tant de rapidité, qu’on dirait qu’ils vous échappent ; dans un chemin difficile, dangereux même, n’essayez pas de les guider, ils sautent comme des chèvres, ne s’avancent que par courbettes ou par lançades, tout en vous portant d’ailleurs admirablement, sans jamais faire une faute. Je suis forcé cependant d’avouer que, dans les premiers momens, on est un pou étonné de cette indépendance d’allure, à laquelle les chevaux qu’on monte en Europe ne nous ont pas habitués.

La petite ville de Bône à notre arrivée était encombrée de monde ; ses rues et ses places présentaient le spectacle le plus animé. Les constructions mauresques, les costumes des habitans, le langage de cette multitude, et jusqu’aux parfums qui s’en exhalaient, tout était nouveau pour moi ; je regardais, j’écoutais, j’admirais avec un intérêt inexprimable. J’aurais voulu pouvoir dessiner du matin au soir, mais je n’en avais pas le temps, et la chaleur, extrême dans ce pays, oblige d’ailleurs le touriste le plus intrépide à rester chez lui pendant une bonne partie de la journée. Rien ne me sembla plus curieux que le marché hors de la porte de la Seybouse ; de vieux Arabes montés sur des ânes y arrivaient de la montagne, des Turcs assis sur des murs en ruine fumaient gravement et en silence. Plus loin, entourés de leurs haïcks, la tête ceinte de la corde de chameau, des Kabyles, des Beni-Urgin et des Kharezas se chauffaient au soleil ; leur attitude académique, leur air important, contrastaient avec l’aspect misérable de vêtemens tout en lambeaux. Il y avait parmi eux quelques nègres. Ajoutez à cela beaucoup de poussière, une grande chaleur, le ciel si bleu de l’Afrique, dans le lointain les montagnes de l’Edough, d’un vert violet, la porte et les murs de la ville blanchis à la chaux, et une odeur généralement répandue de bois d’olivier ou de cèdre brûlé, et vous aurez une idée assez exacte du tableau.

Le capitaine de Lagondie, aide-de-camp du brave général Trézel, m’accompagnait souvent dans mes promenades ; il habitait l’Afrique depuis plusieurs années, son expérience des coutumes et des mœurs arabes était précieuse pour moi. Cette étude anticipée de la population africaine ne m’a pas au surplus été inutile ; partout, depuis, j’ai retrouvé en Algérie les mêmes physionomies et les mêmes habitudes.

J’avais remarqué plusieurs Arabes d’une tournure distinguée montés sur des ânes, et je m’en étonnais ; on m’expliqua que les ânes dans ce