Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/591

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pays, où ils sont traités avec plus de considération qu’en Europe, servent, aussi bien que les mulets, de monture de promenade, ou de hacks aux plus grands personnages pour les transporter d’un point à un autre. Les chefs ne prennent leur cheval que pour la guerre ; on dirait qu’ils considèrent cet animal comme trop noble pour être employé à un autre service.

Pendant le temps de notre séjour à Bône, M. de Lagondie me conduisit chez Hadj-Soliman, beau-frère d’Achmet, bey de Constantine. J’admirai l’aspect vénérable de ce vieux guerrier, ses traits fortement accentués, sa longue barbe blanche, et je lui témoignai le désir de faire son portrait, ce qui, au premier abord, ne parut pas beaucoup lui plaire ; mais comme je l’assurai que je serais flatté de pouvoir rapporter dans mon pays les traits d’un homme aussi remarquable et aussi justement célèbre que lui, je parvins à vaincre sa résistance, et il me donna très complaisamment séance pendant une bonne heure. Il me fit même la faveur d’imprimer son cachet sur mon dessin, ce qui pour les musulmans équivaut, comme on sait, à une signature. Hadj-Soliman, ainsi que son nom l’indique[1], avait fait le voyage de la Mecque. C’était un homme assez instruit ; il exerçait quelque influence dans son pays. Le maréchal Clauzel, en nommant le colonel Jussuf bey de Constantine, lui avait donné Soliman pour khalifat ou lieutenant. Depuis long-temps brouillé avec son beau-frère, dont il était devenu l’ennemi déclaré, il avait marché dans nos rangs contre lui l’année précédente, et se disposait, cette fois encore, à faire la campagne avec nous.

Soliman nous reçut dans une petite salle, séparée en deux par une portière bleue, jaune et rouge, et nous fit asseoir sur son divan couvert de riches étoffes à fonds d’or ou d’argent, brodées en soie de couleur, avec des coussins ronds dans le même genre ; mais tout cela était un peu usé, et se ressentait de la position précaire du khalifat de l’ex-bey de Constantine. Des domestiques me présentèrent la pipe d’usage, et m’offrirent dans une petite tasse de porcelaine de Chine, supportée par une sorte de coquetier en filigrane d’argent, du café excellent et surtout très chaud, préparé d’une manière particulière qui lui donne beaucoup de parfum. On le verse brûlant, et on en ajouté dans la tasse une pincée en poudre impalpable. Le rideau ayant été relevé, nous aperçûmes toutes sortes d’ustensiles de toilette, des coffres en

  1. On sait que les fidèles qui ont fait le voyage de la Mecque prennent le surnom d'hadj (pèlerin).