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de lignes en points bleus et noirs. Ces femmes portaient de grands anneaux suspendus aux oreilles ; leur visage était découvert ; elles semblaient le laisser voir sans embarras, tandis que les musulmanes qui habitent Bône, lorsqu’elles sortent en ville, le cachent au contraire soigneusement avec leur haïck, dont un bord est serré tout autour de la figure et à la naissance du nez, de façon à ne laisser voir que les yeux et le bas du front. Les enfans, tout nus, couleur de bronze comme leurs parens, étaient entièrement rasés et n’avaient qu’une seule tresse de cheveux noirs et crépus sur le sommet de la tête.

Après nous être éloignés de ce douair, nous ne tardâmes point à arriver à un vaste verger, appelé l’oasis de Jussuf, où nous mîmes pied à terre sous des arbres touffus. Quelques hommes d’une tribu voisine nous apportèrent de l’eau et des fruits ; ils nous servirent en abondance du raisin, des grenades et des figues de cactus. Cette belle végétation, ces frais ombrages, au milieu de la plaine desséchée et par cette grande chaleur, rendaient ce lieu fort agréable. La plupart des Arabes appartenant aux tribus environnantes avaient été enrôlés dans nos spahis ; ils n’étaient guère mieux vêtus pour cela ; la couleur de leur burnous, qui en général est bleu, était le seul signe distinctif qui pût les faire reconnaître. Plusieurs de ces hommes nous reconduisirent à cheval pendant l’espace d’une lieue environ, et firent, en l’honneur du prince, ce qu’ils appellent une fantasia. Les cavaliers se lancent au grand galop, dans toutes les directions, puis reviennent en tournant autour des personnes qu’ils veulent honorer, en déchargeant leurs fusils à terre ou en l’air. Les chevaux barbes ont les jambes si sûres, qu’il est superflu de les soutenir. Aussi, après avoir lancé leur monture au grand galop, les cavaliers abandonnent-ils les rênes ; ils saisissent à deux mains leur fusil, placé en travers sur l’arçon de la selle, et, le faisant tourner au-dessus de leur tête, se tiennent tout debout sur les étriers. C’est alors que, le corps immobile, ils ajustent et tirent. On comprend néanmoins qu’il est difficile de bien assurer le coup de la sorte. Je n’avais pas encore vu d’Arabes en tirailleurs, et j’ai reconnu depuis que c’est ainsi que leurs cavaliers combattent.

Pendant les derniers temps de notre séjour à Bône, un Arabe des Beni-Sala apporta au prince une jeune lionne, qui pouvait avoir quatre ou cinq mois, et qui était grosse comme un fort chien. Al-Bouïn (c’était le nom de l’Arabe) avait trouvé cet animal et un petit lionceau, son frère, tout jeunes, dans un fourré non loin du lac Fezzara ; il les avait emportés dans son burnous, et s’était mis aussitôt à fuir de toute la vitesse de son cheval. Vers le camp de Dréan, à une demi-lieue