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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/595

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de là, le lionceau étant tombé, il s’arrêta pour le ramasser ; mais il fut glacé de terreur en entendant de loin les rugissemens de la mère, qui, revenue sans doute de la chasse, n’avait plus retrouvé ses petits à son gîte. Persuadé qu’elle ne tarderait pas à être sur ses traces, Al-Bouïn sentit qu’il y allait de sa vie s’il perdait un instant ; abandonnant donc prudemment une partie de son butin pour occuper l’ennemi, il piqua son cheval, qui sentait d’ailleurs le danger comme lui, et qui l’emporta avec une rapidité prodigieuse jusqu’au camp, où ils arrivèrent heureusement tous les trois sains et saufs. Pendant la nuit, la lionne rôda sur le glacis en poussant d’affreux hurlemens. Nous étions souvent réveillés le matin par le souffle brûlant de cette petite bête féroce, qui se promenait dans notre maison totalement dépourvue de portes ; elle venait ainsi nous visiter impunément et nous pousser avec son muffle sur les matelats où nous étions couchés, de façon à nous causer parfois une émotion assez désagréable[1].

Cependant les préparatifs de notre départ avançaient rapidement. De l’autre côté du Raz-el-Akba, montagne située à une journée de distance, au-delà du camp de Medjez-el-Hammar, nous ne devions plus rencontrer de végétation jusqu’à Constantine ; pas un arbre, pas une plante, pas même un brin d’herbe, car la moisson dans toutes ces contrées était achevée depuis long-temps. Afin d’être à même de faire du feu au bivouac, et de pouvoir cuire la soupe des soldats, on eut recours à un moyen assez ingénieux : comme il n’y avait pas à espérer que nous dussions trouver du bois sur notre route, il fut décidé qu’on en emporterait. Chaque homme d’infanterie reçut l’ordre de placer sur son havre-sac un petit fagot soigneusement fait et serré ; il dut se munir en outre d’un bâton de moyenne longueur, et le porter à la main pendant la marche. Ces provisions de bois étaient destinées, comme on le comprend, à alimenter les feux de notre petite armée, et l’on avait calculé le temps présumé de la campagne de façon à ce que, cannes et fagots, tout fût brûlé quand nous serions maîtres de Constantine. Un parc de bœufs devait marcher avec nous ; les hommes portaient plusieurs rations de biscuits ; les cavaliers étaient aussi chargés de foin bottelé et d’orge pour quelques jours ; les fourgons et prolonges de l’administration contenaient le reste des approvisionnemens. Un assez grand nombre de mulets conduits par des cavaliers démontés suivaient nos colonnes. Ce moyen de transport était de

  1. M. le duc de Nemours avait ramené avec lui cette lionne, qui se noya par accident dans la Seine, lors du retour du prince en France.