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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/599

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et Gavaudan[1] : le prince avait avec lui un interprète, M. Muller, et celui du général Trézel, Abdallah-Aly. Nous rencontrâmes sur la route plusieurs détachemens du 11e de ligne et de la légion étrangère ; ces derniers, depuis long-temps en Afrique, avaient une tournure toute militaire, et semblaient parfaitement acclimatés et bien portans. A une petite distance de Nechmeya, point où l’on avait établi un camp depuis quelques mois, les officiers qui avaient assisté à la dernière expédition me montrèrent auprès d’une source entourée de quelques arbres le lieu appelé Mo-el-Fa, où ce pauvre Paul Sunnegon était venu mourir l’année précédente, et me donnèrent les détails de la triste fin de notre aimable et bon camarade, si regretté par tous ceux qui l’ont connu.

Les soldats du camp, pour se faire des barraques et des abris de feuillage devant leurs tentes, où la chaleur les empêchait de demeurer pendant le jour, avaient dévasté tout le fond de cette petite vallée, qui présentait de beaux ombrages, me dit-on, lorsque l’armée y passa pour la première fois, mais dont presque tous les arbres avaient été abattus depuis. La position du camp se sembla mal choisie ; il était dominé partout, et se trouvait au fond d’un entonnoir peu spacieux ; l’enceinte en était d’ailleurs médiocrement fortifiée. Quelques coups de canon annoncèrent l’arrivée du prince. Les Kabyles venaient toutes les nuits tirer sur les sentinelles ; les feux allumés dans l’intérieur du camp leur servaient de points de mire, et ils blessaient assez souvent des hommes et des chevaux. Nous y passâmes une nuit un peu agitée, car les cousins et d’autres insectes nous firent une guerre acharnée. Les Kabyles nous envoyèrent quelques coups de fusil ; ces sauvages fanatiques, couleur de terre, se mettent tout nus, se glissent en rampant dans l’obscurité auprès de nos gardes avancées, et parviennent quelquefois à surprendre de malheureuses sentinelles qu’ils assassinent. Le commandant du camp avait fait pendre pour servir d’exemple et exposer pendant trois jours le corps d’un de ces Arabes tué dans une des embuscades qu’on a soin de leur tendre toutes les nuits. Au reste, l’augmentation des forces du camp, l’arrivée des troupes, tout inspirait à l’ennemi une crainte salutaire.

Notre première couchée offrit beaucoup de désordre ; nos domestiques étaient encore très peu au fait. Les chevaux entravés, c’est-à-dire retenus par les pieds de devant, ne se détachèrent pas cette fois,

  1. Le capitaine Gavandan, fils de l’acteur de ce nom, a été tué près de Blidah en 1838 ; ce jeune homme était fort instruit et donnait de grandes espérances.