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et c’était un grand point, car on se figure combien il est inquiétant pour le propriétaire d’un cheval de l’entendre hennir et galoper la nuit au milieu des tentes, et s’abattre souvent sur les cordes qui les soutiennent, au grand désespoir du pauvre domestique qui le poursuit tout essoufflé.

A sept heures, nos colonnes s’ébranlèrent. Le pays, à la sortie du camp, se présente sous une forme beaucoup plus montagneuse et rappelle le Jura, les Vosges dans leurs parties les plus arides. Nous trouvâmes la route admirablement tracée et entretenue. Nous nous élevions de plus en plus, et des plateaux où nous faisions halte nous apercevions la mer dans le nord, et dans le sud le Raz-el-Akba, cette crête que les soldats s’obstinaient toujours à nommer le Col de Fer. Le prince avait la bonne habitude de faire prendre de temps en temps du repos aux troupes, surtout au moment de partir ; cela est toujours nécessaire dans ce pays, où nos pauvres soldats fiévreux ont souvent tant de peine à se traîner. Nous en rencontrâmes plusieurs couchés sur la route, et qui avaient laissé passer la colonne sans pouvoir la suivre. Cette vue était pénible et nous présageait de grandes pertes en hommes, si les pluies et le mauvais temps venaient augmenter les difficultés de notre expédition. Baudens, notre chirurgien-major, avec son activité et son humanité ordinaires, les interrogea tous, et le prince, dont la sollicitude pour les troupes ne se ralentit pas un instant pendant la campagne, donna ordre à des hommes de l’escorte de les faire monter sur sa voiture de suite. La chaleur était du reste très grande et avait commencé de bonne heure. Vers les neuf heures, nous vîmes déboucher sur notre gauche une dixaine de cavaliers. J’allai avec notre interprète pour les reconnaître : c’étaient des Beni-Oureddin chargés par le colonel Duvivier, qui commandait à Guelma, de se rendre à Bône pour y prendre des objets d’approvisionnement.

Le pays, à mesure que nous approchions de Hamman-Berda, semblait plus gai et un peu moins abandonné. Nous distinguâmes plusieurs douairs, et des Kabyles faisant paître leurs troupeaux dans la vallée ; quelques-uns, qui nous attendaient sur le bord de la route, nous vendirent des figues de cactus. Du reste, la solitude de ces contrées, le peu d’empressement que mettaient les populations à venir à notre rencontre, prouvaient la frayeur qu’Achmet avait su leur inspirer.

Notre première halte eut lieu près de Hamman-Berda (eaux chaudes), source d’eaux thermales où se trouvaient des bains du temps des Romains. La température de cette source est d’environ 25 degrés Réaumur. A la droite de la route s’élevait un petit fort en pierre, construit