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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/61

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s’isolent, et tout faubourg d’une ville industrieuse devient un Mont-Sacré d’où les ouvriers lancent des regards de colère sur les rangs supérieurs de l’ordre social.

Les maîtres, de leur côté, ne sont pas plus sages, et ils ne s’accordent pas entre eux une plus grande liberté. Seulement la violence, quand ils l’emploient, a des formes plus polies, sinon plus humaines. Au lieu de blesser ou de tuer les dissidens, on les met à l’index, on les déconsidère sans bruit, on s’efforce de les rejeter en dehors du monde commercial. Entre les procédés des maîtres et ceux des ouvriers, il n’y a donc que la différence de la forme ; l’égarement est au fond le même dans les deux cas.

Dès que l’on reconnaît aux maîtres et aux ouvriers le droit de se coaliser en vue des transactions qui naissent du travail, les choses ne peuvent pas se passer d’une autre manière. Le nombre des intéressés est trop grand, et il y a trop de complications dans les intérêts, pour qu’un accord volontaire devienne possible. L’intimidation a seule raison des dissentimens, intimidation qui emprunte ici des moyens physiques et qui pénètre là dans l’ordre moral : d’où il suit que plus le marché du travail aura d’étendue, plus les coalitions seront fréquentes et tyranniques. L’Angleterre, renfermant les travailleurs proportionnellement les plus nombreux, les mieux payés et les plus habiles, a dû être aussi le théâtre où ces associations anormales se sont principalement développées. Les tentatives des maîtres, favorisées par une organisation préexistante, ont des allures plus mystérieuses et qui échappent à l’observation ; celles des ouvriers se passent en grande partie sur la place publique, ce qui en rend l’histoire facile, de quelque secret qu’ils prétendent l’entourer.

Les coalitions d’ouvriers ont un caractère particulier en Angleterre ; elles n’y sont pas, comme sur le continent européen, accidentelles et purement locales, naissant des circonstances et s’éteignant après l’explosion, ainsi que la flamme de la poudre : au lieu de se produire à l’état d’émeute, elles existent à l’état d’institution. Dans chaque industrie, l’association formée entre les ouvriers en vue des salaires (trades union) est générale et permanente ; une sorte de franc-maçonnerie les rallie et les rend solidaires d’un bout à l’autre du royaume-uni. Il y a l’union des fleurs, l’union des charpentiers, l’union des briquetiers, l’union des chapeliers, l’union des tailleurs, l’union des ouvriers en laine, l’union des tisserands en bonneterie. Chacune de ces associations groupe les ouvriers sous le contrôle d’un gouvernement local, et compte au moins une loge par ville ou par district ; les loges