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J’ai souvent failli rouler dans les précipices en portant des ordres à la fin de la journée. Rien n’est moins comfortable, en vérité, que de galoper avec un cheval fatigué sur ces pentes raides et humides, inondé par les rafales d’une pluie pénétrante, et tourmenté par un vent impétueux qui fait flotter, malgré tous vos efforts, votre manteau, ce vêtement, soit dit en passant, si peu militaire et si incommode. Allez donc vous servir de vos armes dans de pareilles conditions, si vous pouvez ! Les voitures eurent beaucoup de peine à monter les rampes du col en doublant les attelages.

Nous trouvâmes aux abords du Raz-et-Akba le bivouac d’Achmet tout frais encore. Notre avant-garde s’établit sur un plateau dans une assez bonne position. Le premier côté de notre carré était formé par les troupes du génie, les spahis, le 2e léger et les zouaves, le second par le 17e léger, et le troisième par les escadrons de chasseurs. Nous dûmes camper sur un sol humide et glaiseux, mais qui se dessécha bien vite sous l’action du soleil couchant.

A peine arrivé, je reçus l’ordre d’aller prendre quinze spahis et de me mettre en recherche de quelques sources dans les environs ; j’allai donc vers le commandant de Mirbeck, et lui fis connaître ma mission. « Prenez quinze hommes, » me dit-il ; puis il ajouta avec le plus grand sang-froid : « Mais vous vous ferez couper la tête… Benouéni, accompagne le capitaine. » Et il me salua très poliment. Notez que la pluie continuait à tomber d’une manière déplorable. Être obligé de chercher de l’eau par un temps pareil, cela avait presque l’air d’une plaisanterie. Cependant, mes spahis et moi, nous nous lançâmes en différentes directions, et, grace à quelques mots de français que parlait le maréchal-des-logis Benouéni, je parvins à diriger nos recherches avec assez de sagacité pour trouver à peu de distance du camp une source abondante ; j’eus même assez de bonheur pour ne pas voir se réaliser le funèbre pronostic du commandant des spahis.

On était, à notre bivouac, assez préoccupé du matériel de l’artillerie à cause de l’état des chemins. Si en effet la pluie avait continué, il fût devenu tout-à-fait impossible de faire mouvoir les pièces de 24. Heureusement que vers le soir, comme je l’ai dit, le soleil se dégagea des nuages, et à sa vue nos cœurs se rouvrirent à l’espérance. On fit sécher les manteaux, on poussa des reconnaissances en avant dans toutes les directions, et à l’aide de nos lunettes nous pûmes apercevoir sur le col d’Hannounah la brigade du général Trézel, dont les armes brillaient aux rayons du soleil couchant. S’il est vrai de dire qu’en Algérie quand il pleut, il pleut bien, il est juste aussi de remarquer que le soleil