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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/609

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d’Afrique a une propriété desséchante des plus caractérisées ; aussitôt qu’il paraît, il a absorbé en moins de dix minutes toute l’eau répandue sur le sol, et pompé entièrement l’humidité des vêtemens qu’on expose à son ardeur dévorante.

Nous avions parcouru depuis le matin treize mille deux cents mètres. Nous dînâmes du meilleur appétit à notre premier bivouac, assis sur les cantines des mulets de bat qu’on plaçait autour du feu ; nous mangions sur nos genoux une soupe que l’eau du ciel se chargeait souvent d’allonger. Je me suis très bien trouvé, dans mon court voyage en, Afrique, de ne jamais boire entre mes repas. Notre chère, d’ailleurs, était très simple et très frugale. Nous avions avec notre soupe un plat de viande entouré de riz, et ensuite du café léger. J’ai la conviction que la sobriété et l’exercice préviendraient dans ce pays la plupart des affections de l’estomac et des entrailles. Quant aux fièvres endémiques, il n’y a guère, je pense, de moyens de s’y soustraire. Les fruits, les herbes, sont à éviter. Il est de toute nécessité de coucher entièrement habillé pour éviter la fièvre, les yeux couverts pour se garantir des ophtalmies, et les mains dans les poches par crainte des scorpions. Si après avoir pris ces précautions on n’est pas sensible aux puces et que les inégalités du sol ne paraissent pas trop gênantes, on peut fort bien dormir au bivouac enveloppé dans un manteau et la tête sur une petite botte de foin. J’avoue cependant que je n’y ai jamais goûté entièrement les douceurs de ce sommeil qu’on nomme réparateur.

Le lendemain, lundi 2 octobre, à quatre heures, on battit la breloque à la grand’garde des zouaves, et aussitôt branle-bas général. À ce signal on s’habille, c’est-à-dire qu’on resserre son col et qu’on boutonne son uniforme ; tout le monde est sur pied ; on va voir les chevaux, on s’informe s’ils ont eu de l’orge, s’ils n’ont pas cassé leurs entraves pour aller se promener dans le camp pendant la nuit ; puis, après avoir plié bagage, l’avant-garde s’ébranle, et bientôt elle est en marche.

La veille, autour de notre grand feu, le général Perregaux, chef d’état-major du lieutenant-général gouverneur, nous avait appris que plusieurs scheiks des environs étaient venus offrir de l’orge et de la paille hachée, disant qu’à notre approche Achmet avait été obligé de se retirer et de lever son camp, que plusieurs tribus l’abandonnaient, « parce que décidément les Français étaient les plus forts. » On doit supposer cependant qu’il y avait un peu moins de sympathie que de curiosité dans la démarche de ces bons scheiks auprès de nous, car malgré leurs promesses et leurs complimens, bien loin de se joindre