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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/615

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grande distance qui pût servir à la mesure du pays. Nous fîmes en ce lieu une assez longue halte. Par le nombre des tentes du camp bey établi sur les montagnes de gauche, on évalua qu’il pouvait y avoir environ 1,500 chevaux de réunis. Les tirailleurs des spahis et des chasseurs étaient fort en avant sur les bords du Bou-Merzoug, qui coulait au fond de la vallée à nos pieds.

Nous nous remîmes en marche après deux heures de repos, et descendîmes en côtoyant la rivière où se jettent de nombreux ruisseaux que nous étions dans la nécessité de traverser. Au passage de l’un de ces affluens, le génie fut obligé de travailler assez long-temps pour en débarrasser le lit d’une énorme quantité de pierres rondes, roulées par les eaux, qui le rendaient d’un accès fort incommode. Les Arabes descendirent à ce moment des crêtes environnantes, et tiraillèrent sur le gué que les différens corps de notre avant-garde traversaient successivement. M. le duc de Nemours demeura pendant très long-temps dans cet endroit, et y fut fort exposé au feu de l’ennemi, qui était d’autant plus vif qu’on ne lui répondait pas. Le prince, avec la conscience qu’il mettait dans l’accomplissement de tous ses devoirs, savait bien que sa présence empêcherait le désordre et faciliterait bien des choses, et il avait raison. Lorsque les derniers hommes de notre brigade furent sortis de la rivière, le prince prit le galop, et rejoignit avec nous la tête de colonne.

Nous étions alors sur une belle plaine de gazon, où un spectacle assez amusant s’offrit à notre vue. De l’autre côté, et à une faible distance du Bou-Merzoug, qui dans cet endroit est fort encaissé, cheminaient au pas et très tranquillement deux cavaliers arabes dont la tête était ornée d’un chapeau de paille colossal tout couvert de plumes d’autruche. Cette décoration caractéristique est portée dans le nord de l’Afrique par les plus intrépides guerriers. Marchant parallèlement à notre colonne, ces Arabes semblaient ne pas s’apercevoir de notre présence, et affectaient même en causant de ne pas tourner la tête de notre côté. Nos tirailleurs, piqués de cette indifférence, les avaient pris pour point de mire, et l’on voyait à chaque instant des balles frapper les rochers au-dessus de leurs têtes, ou faire voler la terre devant les pieds de leurs chevaux, sans qu’ils daignassent cesser leur conversation ou hâter le pas de leurs montures. Le fait est qu’ils mirent l’adresse de nos meilleurs tireurs en défaut, qu’ils s’éloignèrent et regagnèrent le gros de la cavalerie ennemie sans avoir été atteints, et cela aux applaudissemens de nos éclaireurs, qui ne purent s’empêcher de rendre hommage à leur audace.