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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/617

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prince fit avancer deux obusiers et lancer au milieu des groupes les plus nombreux de l’ennemi quelques obus qui éclatèrent et lui tuèrent du monde. Vers le soir, le feu cessa, et nous établîmes notre bivouac. Nous ne nous trouvions plus éloignés de Constantine que de trois kilomètres.

Notre camp était formé, et je revenais au pas après avoir porté des ordres à un de nos postes avancés, quand un évènement singulier, qui mit mes jours en péril, offrit à notre brigade, pendant quelques instans, un spectacle neuf et dramatique à la fois. Un grand cheval noir fort méchant, qui appartenait au colonel Boyer, nourrissait une haine implacable contre Pompée, l’un de mes chevaux, dont je me servais souvent, et que je montais ce jour-là. Comme je n’avais aucune donnée sur les antécédens de ces deux ennemis, je ne savais à quoi attribuer l’animosité bien marquée de ce méchant cheval noir, qui ne perdait jamais l’occasion de lancer une ruade ou de donner un coup de dent à mon pauvre Pompée, quand il le rencontrait ou lorsqu’il pouvait l’atteindre. Je rentrais donc, et m’approchais du centre de notre carré pour mettre pied à terre auprès de la tente du prince, quand le cheval en question, apercevant l’objet de son ressentiment, s’élance furieux, rompt ses liens, ses entraves, et se précipite sur nous comme un lion ; Pompée se dresse alors bravement sur les pieds de derrière, et voilà les deux adversaires se livrant un combat en règle sans s’inquiéter de moi, qui me trouvais, comme on doit le croire, fort mal à mon aise. Sur ces entrefaites, un cheval gris que venait de monter M. le duc de Nemours, et qui était sur le lieu du combat, se débarrasse de l’homme qui le retenait, se jette au milieu de la mêlée et prend parti pour Pompée, lequel était vaincu et renversé, hélas ! mais se débattait encore sous les pieds de son redoutable ennemi : nouvelle lutte, plus affreuse que la première, livrée sur le corps de mon cheval, et moi au-dessous, servant dans cette guerre, qu’on me pardonne le jeu de mots, de base d’opérations. Heureusement, des soldats d’infanterie eurent le courage de venir m’arracher à la position des plus critiques où je me trouvais. Chose presque incroyable, je ne reçus, au demeurant, aucune blessure, et j’en fus quitte pour quelques contusions.

La nuit se passa tranquillement, sauf quelques coups de fusil tirés sur nos postes et sur nos bivouacs. Le vendredi 6, nous partîmes à cinq heures sans bruit ; le temps était couvert, il pleuvait un peu, et le jour pointait à peine. Quand nous fûmes à un quart de lieue de la ville, que nous ne pouvions pas encore découvrir, et à cinq cents pas environ du marabout de Sidi-Mabrouk, situé sur le versant nord du