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Sattah-Mansourah ; nous vîmes descendre des montagnes de gauche un grand nombre de cavaliers arabes qui vinrent tirailler sur nos flancs dans la vallée du Bou-Merzoug, sans cependant passer cette rivière. Quelques chasseurs et quelques fantassins déployés sur la route suffirent pour les contenir. Le prince me dit alors de porter aux spahis l’ordre d’occuper le plateau de Mansourah. Nous nous lançâmes au galop sur cette montée, qui s’étend depuis Sidi-Mabrouk jusqu’aux crêtes situées au-dessus de Constantine. En longeant les jardins du marabout, dont nous laissions l’enceinte murée à notre gauche, nous nous attendions bien à recevoir le feu de l’infanterie d’Achmet, qui, nous le pensions, devait s’y être embusquée ; mais par crainte sans doute d’être tourné, l’ennemi n’avait pas occupé cette position, et s’était retiré sur le plateau, au milieu des rochers qui en bordent l’arête extrême.

C’est là en effet que nous trouvâmes les zouaves réguliers du bey, qui nous accueillirent par un feu bien nourri. Les spahis se déployèrent alors, et commencèrent à tirailler avec eux. Parmi ces zouaves d’Achmet qui sautaient et gambadaient à notre approche, en ayant l’air de se moquer de nous et en nous envoyant des coups de fusil, j’ai cru reconnaître des Français, si j’ai eu raison de m’en rapporter à des gestes et à des poses assez caractéristiques qui m’ont rappelé le carnaval de mon pays. Le commandant de Mirbeck me pria d’aller demander de l’infanterie au prince afin de déloger les Arabes des rochers et des pentes abruptes où ils étaient embusqués, et où les spahis ne pouvaient les poursuivre. Un bataillon du 2e léger se porta en avant et poussa l’ennemi. Alors l’état-major et toute la brigade débouchèrent sur le plateau, et nous accourûmes à l’extrémité supérieure de ce plan incliné auquel on a donné avec raison le nom de Sattah, toit, pour jouir de la vue de cette ville célèbre que j’étais si avide de contempler.

Je ne trouve pas d’expression pour rendre l’émotion que j’éprouvai lorsque, parvenu au sommet du Mansourah, je découvris tout à coup Constantine à mes pieds pour la première fois ; un rayon de soleil, qui venait de percer de gros nuages sombres, l’éclairait en ce moment d’une lueur fantastique. Le fameux pont (El-Kantara), celui où s’était livrée l’année précédente une si sanglante affaire, brillait avec ses arceaux blanchâtres sur le noir précipice du Rummel. A la droite du pont, les rochers de Sidi-Mécid dominaient cet affreux précipice, et leurs ombres portées nous en dérobaient la profondeur. Les hautes montagnes de l’Atlas, dans le fond du tableau, agrandies à nos yeux