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par les averses de la nuit. Nous trouvâmes les postes établis sur Coudiad-Aty extrêmement rapprochés de la ville et en butte au feu des fusils de rempart et des soldats turcs cachés dans les casemates. Le marabout où s’abritaient nos avant-postes était cependant religieusement respecté par les Arabes ; il en fut ainsi pendant tout le siège. Cette construction contenait plusieurs tombeaux couverts d’inscriptions, quelques-uns en marbre surmontés de turbans ; c’étaient, nous dit-on, des sépultures de saints derviches ou de grands personnages.

A notre retour, nous rencontrâmes les deux colonnes de l’artillerie qui menaient leurs canons aux batteries construites dans la matinée ; ses grosses pièces avançaient assez bien malgré la boue ; il est vrai qu’elles étaient attelées de quarante chevaux. Vers le soir, la pluie recommença, affreuse, extraordinaire, ce qui n’empêcha pas le prince d’aller visiter les batteries. C’était une vraie corvée par un temps aussi épouvantable. L’ouverture du feu, qu’on avait cru possible pour le lendemain, était reculée indéfiniment ; on n’avait pu armer que la batterie de mortiers, ainsi que celle du Sattah-Mansourah, composée de deux pièces, l’une de 24 et l’autre de 16, et de deux obusiers de 6 pouces. Quant à Coudiad-Aty, impossible d’y mener un canon à cause de l’état du terrain. Une partie des pièces dirigées sur la batterie royale n’avait pu parvenir à sa destination, et avait versé dans le ravin. C’était un contre-temps fort grave pour nous dans l’état des choses, car le temps pressait ; avec les pluies, déjà les maladies commençaient à envahir l’armée. Tout le monde calculait que s’il était impossible d’amener des pièces de gros calibre à petite portée du rempart, qu’on regardait comme très solide, notre situation devenait des plus critiques ; le commandant en chef des troupes du génie semblait, en effet, convaincu que nous ne pourrions entrer dans la place que par une brèche, et que l’ennemi ne se rendrait que lorsque cette brèche serait praticable. Nous commencions d’ailleurs à être obligés de réduire la ration de nos pauvres chevaux ; notre provision de foin étant épuisée, nous ne les soutenions qu’avec quelques poignées d’orge distribuées rarement. Le temps fut horrible toute la nuit. Notre horizon se rembrunissait, nos affaires prenaient une mauvaise tournure.

Cependant, grace aux efforts intelligens de quelques centaines de zouaves dirigés par un officier d’artillerie, on parvint à relever une des pièces de 16 culbutées dans le ravin ; on creusa ensuite une sorte de rainure dans la partie solide du chemin le long de la pente supérieure pour retenir, par les roues qu’on engageait dans cette ornière,