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les pièces entraînées sur le remblais du côté de son affaissement. On renonça pour le moment à armer le Coudiad-Aty ; tous les efforts furent dirigés vers le Mansourah. Dans la journée, le feu de la place n’inquiéta pas beaucoup nos travailleurs ; mais plusieurs bombes tombées au milieu de nos chevaux, tenus en main, les effrayèrent beaucoup ; le mien s’abattit et rompit rênes, sangle et poitrail ; un éclat emporta une des bossettes de son mors.

Le dimanche 8, les Kabyles furent assez hardis pour venir nous attaquer sur le Mansourah, et je ne sais pas comment nos tirailleurs purent les contenir, car leurs armes étaient si mouillées que sur dix coups il y en avait au moins huit qui rataient. Le temps continua à être épouvantable toute la nuit ; la pluie tombait avec une horrible violence ; la neige vint bientôt s’y joindre ; un vent effrayant, un froid glacial, décourageaient nos malheureux soldats enfoncés dans l’eau jusqu’aux genoux, et qui ne pouvaient se coucher. Au bivouac, ils étaient sans feu, sans abri, sans soupe ; devant l’ennemi, leurs armes ne partaient pas. Les ambulances se remplissaient de malades ; on rencontrait déjà des chevaux morts de faim. Notre inquiétude croissait à l’aspect de toutes ces misères, et dans l’attente de calamités plus grandes encore. Si le feu de l’artillerie qui devait s’ouvrir le lendemain, disions-nous, n’écrase pas la place, serons-nous réduits à partir en abandonnant tout notre matériel, ou resterons-nous pour périr de la fièvre sous les murs de cette ville infernale ? Les bœufs et les mulets de l’administration firent irruption pendant la nuit dans notre malheureux bivouac, qui ressemblait à une vaste fondrière couverte de sept à huit centimètres de neige, et y dévorèrent le reste des figuiers qui formaient la dernière ressource de nos chevaux.

Le lendemain, lundi, nous étions à cheval dès six heures. Le commandant en chef de l’artillerie avait retrouvé toute l’énergie de sa jeunesse. Les batteries du Mansourah étaient prêtes et armées. C’était une noble chose à voir que ces braves artilleurs couverts de boue de la tête aux pieds, près des pièces qu’ils avaient travaillé toute la nuit à mettre en place. A sept heures, notre feu commença ; notre tir, à une aussi grande distance de la place, devait être incertain et le fut en effet pendant quelque temps ; le comte Valée s’était mis en avant avec une lunette et le rectifiait par ses indications. Bientôt cependant il devint plus sûr ; vers onze heures, la batterie royale, plus basse et plus rapprochée de la ville, commença à tirer ; ses deux canons de 16 firent très bien ; nous ne tardâmes pas à écrêter les parapets de la batterie Bab-el-Gharbia, et à faire quelques coups d’embrasures en répondant au feu de la kasbah.