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que c’était une entreprise presque téméraire que de traverser le Rummel avec nos pièces de 24 ; le gué où on devait passer la rivière n’est pas distant de plus de trois cents mètres du rempart. Malgré les boulets et la fusillade de la ville, nos braves canonniers étaient parvenus à amener quatre de ces pièces à l’autre bord ; mais il avait fallu doubler et tripler les attelages, écarter, pour le passage des chevaux, d’énormes roches roulées par les eaux que la pluie avait grossies. Ce travail si pénible avait été exécuté avec une héroïque patience par les artilleurs et les sapeurs du génie, qui s’étaient mis dans l’eau jusqu’à la ceinture. Heureusement que la nuit ôtait à l’assiégé le moyen d’ajuster et que son tir était incertain, car sans cela nos pertes eussent été bien plus considérables, et peut-être même le passage de la rivière n’aurait pas pu s’effectuer.

A la pointe du jour, les canons et leurs attelages avaient pu atteindre au coude du chemin de Tunis, où ils étaient défilés du feu de la place ; il ne leur restait plus qu’à gravir la côte pendant la nuit suivante. On avait envoyé deux compagnies de sapeurs avec de l’infanterie occuper le Bardo, où se trouvaient les anciennes écuries du bey, situées dans un petit vallon entre l’enceinte de la ville et les pentes du Coudiad-Aty, afin de protéger d’abord le transport des pièces au-delà du Rummel contre les sorties de la place, et de se préparer ensuite un couvert qui pût servir de point de départ et d’appui pour de nouvelles opérations. Toute la nuit fut employée à fortifier ce réduit et à percer des créneaux dans les murs de clôture. On en releva plusieurs parties abattues, car les écuries du bey étaient en ruines ; l’on fit en pierres sèches des tambours devant les portes. Pendant l’exécution de ces travaux, les officiers du génie reconnurent, attenant au marabout et à peu de distance du Bardo, un ravin long de deux cents mètres environ, et garanti à peu près des feux de la place par sa direction et sa profondeur. Le ravin conduisait sur le plateau du front d’attaque, à cent cinquante mètres de l’escarpe ; quelques travaux rapides devaient suffire pour en compléter la défense. On obtenait ainsi une vaste place d’armes et un abri d’où la colonne d’assaut se serait élancée, lorsque le feu de la batterie de Nemours aurait démoli le rempart et rendu la brèche praticable. Les Arabes essayèrent, vers une heure du matin, une sortie contre le marabout, mais ils furent bientôt repoussés. On eut la pensée de joindre le Bardo et le poste de ce marabout par une communication couverte ; mais une tranchée était impossible dans ce terrain de rochers, et un épaulement en sacs à terre eût employé des matériaux précieux qu’il fallait conserver avec soin pour se créer des