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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/632

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couverts plus rapprochés de la place. On renonça donc à cette idée, et il fut résolu qu’on ne communiquerait entre ces deux postes que la nuit, ou le jour en courant.

Nous montâmes à cheval avec le prince, et allâmes sur le Coudiad-Aty, comme de coutume, pour examiner l’état des travaux. Vers neuf heures, l’assiégé fit contre les positions où nous nous trouvions sa sortie habituelle. Le lieutenant-général gouverneur, voulant lui donner une leçon, ordonna au général Rulhières de laisser arriver les Arabes aussi près que possible et de les aborder alors vigoureusement. En effet, au moment où, s’avançant avec leur hardiesse accoutumée, ils allaient atteindre notre épaulement, le prince avec son état-major, à la tête d’une compagnie de la légion étrangère, sauta par dessus les briques et les tuiles derrière lesquelles notre infanterie était couchée, et se jeta au milieu des fantassins d’Achmet, qui venaient à nous drapeau en tête. La rencontre fut vive, et avant que l’ennemi, surpris par notre retour offensif, eût battu en retraite, on avait échangé une fusillade à bout portant qui coûta la vie à bien des braves de part et d’autre. Notre mouvement fut aussitôt appuyé par une compagnie d’élite du 26e, et les Kabyles, dont il ne nous fut pas possible de saisir le drapeau, s’éparpillèrent alors en descendant sur les versans du Coudiad-Aty, dont nous occupions les sommets ; cachés derrière des rochers ou des ruines dont cette côte est semée, ils commencèrent contre nous un feu très meurtrier, car rien ne nous dérobait à leur vue. Tous les officiers de la compagnie de la légion étrangère furent mis hors de combat ; les capitaines Marland et Béraud tombèrent frappés à mort par des coups de biscayens, car la ville tirait sur nous à mitraille ; les trois autres reçurent de graves blessures, le capitaine Raindre, fils du général de ce nom, atteint d’un coup de feu au genou, dut subir l’amputation quelques heures après. Müller, l’interprète du prince, eut le pied fracassé par une balle ; en un mot, ce fut une mêlée très chaude, mais, grace à l’énergie de nos braves grenadiers, elle ne dura pas long-temps, et les Arabes ne firent pas mine de résister à nos baïonnettes. M. le duc de Nemours donna dans cette circonstance des preuves de la plus grande bravoure et d’un imperturbable sang-froid ; à coup sûr, aucun de nous ne fut plus exposé que lui, car il franchit un des premiers le parapet en briques, et se trouva presque seul au milieu des Arabes ; heureusement qu’à la guerre ce ne sont pas toujours les plus intrépides que le feu de l’ennemi atteint de préférence, et le prince échappa sans blessure au plus grand danger qu’il ait couru dans cette campagne, où il les affronta tous.